ens, n'obeissaient qu'a demi: les traiter
avec hauteur c'eut ete les rebuter; il fallait de grands menagemens, et
Louis possedait admirablement cet art precieux. Sans oublier qu'il etait
leur maitre, il leur faisait sentir qu'il etait leur ami: chacun croyait
suivre son inclination, et ne suivait reellement que son devoir. Jamais
il n'employa l'autorite, et toujours il trouva le moyen d'obtenir ce
qu'il voulait.
Ce fut encore a sa sollicitation que les Genois et les Pisans, acharnes
depuis long-temps les uns contre les autres, sacrifierent enfin leurs
interets a celui de la religion, et signerent une suspension d'armes.
Telles etaient les occupations du saint monarque lorsqu'il recut une
ambassade de la part d'un prince tartare, nomme Ercalthai, qui se disait
converti a la foi chretienne, et faisait paraitre le zele le plus
sincere pour son avancement. Le chef de cette deputation etait un
certain David que des religieux de la suite de saint Louis reconnurent
pour l'avoir vu en Tartarie, ou le pape les avait envoyes quelques
annees auparavant. Il remit au roi une lettre pleine de traits de
devotion, ou cependant l'affectation se remarquait encore plus que le
style du pays, et l'assura que le grand kan s'etait fait baptiser depuis
trois ans; que les chretiens n'avaient pas un plus zele protecteur;
et qu'il etait pret a favoriser de tout son pouvoir l'expedition des
Francais.
On croit aisement ce qu'on souhaite; Louis, charme de ces pretendues
conversions, qui pouvaient etre si utiles a la religion, fit tout
l'accueil possible aux ambassadeurs, les traita magnifiquement, les mena
au service de l'eglise pendant les fetes de Noel, les renvoya combles de
ses bienfaits, et les fit accompagner de quelques religieux charges de
presens pour leur maitre. C'etait entre autres choses, dit Joinville,
_une tente faite a la guise d'une chapelle, qui etoit moult riche et
bien faite, car elle etoit de bonne ecarlate fine, sur laquelle il fit
entailler, et par image, l'Annonciation de la Vierge et tous les autres
points de la foi_. Mais en vain nos ambassadeurs, Jacobins et Mineurs,
chercherent le pretendu Ercalthai; ils ne purent en avoir aucune
nouvelle. La conversion du grand kan se trouva de meme etre imaginaire:
loin de proteger les chretiens, il se preparait a leur faire une guerre
cruelle. Ce qu'on peut conjecturer de tout ceci, c'est que le prince
Ercalthai pouvait etre quelque petit seigneur tartare peu connu, et
chretien,
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