de cheval, que l'on faisait depuis quelques jours, que
l'on mangeait en commun.
Le jour suivant, nous passames pres d'une abbaye qui avait servi
d'hopital a une partie de nos blesses de la grande bataille. Beaucoup
s'y trouvaient encore. L'Empereur donna l'ordre de les transporter sur
toutes les voitures, a commencer par les siennes, mais des cantiniers,
a qui l'on avait confie plusieurs de ces malheureux, les abandonnerent
sur la route, sous differents pretextes, et cela pour conserver le
butin qu'ils emportaient de Moscou et dont leurs voitures etaient
chargees. Cette nuit, nous couchames dans un bois en arriere de Ghjat,
ou l'Empereur logea; pendant la nuit, pour la premiere fois, il tomba
de la neige.
Le lendemain, 30, la route etait deja mauvaise; beaucoup de voitures,
chargees de butin, avaient peine a se trainer, beaucoup deja se
trouvaient brisees, et d'autres, craignant le meme sort, s'allegeaient
en se debarrassant d'objets inutiles. Ce jour-la, j'etais
d'arriere-garde, et, comme je me trouvais tout a fait en arriere de la
colonne, a meme de voir le commencement du desordre. La route etait
jonchee d'objets precieux, comme tableaux, candelabres et beaucoup de
livres, car, pendant plus d'une heure, je ramassai des volumes que je
parcourais un instant, et que je rejetais ensuite pour etre ramasses
par d'autres qui, a leur tour, les abandonnaient.
C'etaient des editions de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau et de
l'_Histoire naturelle_ par Buffon, reliees en maroquin rouge et dorees
sur tranche.
C'est dans cette journee que j'eus le bonheur de faire l'acquisition
d'une peau d'ours, qu'un soldat de la compagnie venait, me dit-il, de
ramasser dans une voiture brisee, remplie de fourrures. Le meme jour,
notre cantiniere perdit son equipage avec nos vivres et notre grand
vase en argent, dans lequel nous avions fait tant de punch.
Le 30, nous arrivames a Viasma, _ville au schnaps_, ainsi nommee, par
nos soldats, a cause de l'eau-de-vie que l'on y trouva en allant a
Moscou. L'Empereur fit sejour; notre regiment alla plus avant.
J'oubliais de dire qu'avant d'arriver a cette ville, nous fimes une
grande halte et que, m'etant retire sur la droite de la route, pres
d'un bois de sapins, je rencontrai un sergent des chasseurs de la
Garde, que je connaissais[24]. Il avait profite d'un feu qui se
trouvait tout fait, pour faire cuire une marmite de riz, dont il
m'invita a prendre part. Il avait, avec lui, la cantin
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