sentiments a son egard. Dites-lui sincerement que plusieurs
propos m'etaient revenus apres l'affaire de son duel avec M. de
Feuillide; lesquels propos m'avaient fait penser qu'il ne parlait pas
de moi avec toute la prudence possible.
Ensuite, il avait imprime dans la _Revue_ des pages qui m'avaient
donne de l'humeur. Lui et moi sommes des esprits trop graves et des
amis trop vrais, pour nous livrer aux interpretations ridicules du
public. Pour rien au monde je n'aurais voulu qu'un homme que j'estime
infiniment devint la risee d'une populace d'artistes haineux qu'il a
souvent tancee durement; laquelle, pour ce fait, cherche toutes les
occasions de le faire souffrir et de le rabaisser. Il me semblait que
le role d'amant disgracie, que ces messieurs voulaient lui donner, ne
convenait pas a son caractere et a la loyaute de nos relations.
J'avais cherche de tout mon pouvoir a le preserver de ce role
mortifiant et ridicule, en declarant hautement qu'il ne s'etait jamais
donne la peine de me faire la cour. Notre affection etait toute
paisible et fraternelle. Les mechants commentaires me forcaient a ne
plus le voir pendant quelques mois; mais rien ne pouvait ebranler
notre mutuel devouement. Au lieu de me seconder, Planche s'est
compromis et m'a compromise moi-meme: d'abord par un duel qu'il
n'avait pas de raisons personnelles pour provoquer; ensuite par des
plaintes et des reproches, tres doux il est vrai, mais hors de place
et, qui pis est, tires a dix mille exemplaires.
De si loin et apres tant de choses, les petits accidents de la vie
disparaissent, comme les details du paysage s'effacent a l'oeil de
celui qui les contemple du haut de la montagne. Les grandes masses
restent seules distinctes au milieu du vague de l'eloignement. Aussi
les susceptibilites, les petits reproches, les mille legers griefs de
la vie habituelle, s'evanouissent maintenant de ma memoire; il ne me
reste que le souvenir des choses serieuses et vraies. L'amitie de
Planche, le souvenir de son devouement, de sa bonte inepuisable pour
moi, resteront dans ma vie et dans mon coeur comme des sentiments
inalterables.
Apres avoir quitte Alfred, que j'ai conduit jusqu'a Vicence, j'ai fait
une petite excursion dans les Alpes en suivant la Brenta. J'ai fait a
pied jusqu'a huit lieues par jour, et j'ai reconnu que ce genre de
fatigue m'etait fort bon, physiquement et moralement.
Dites a Buloz que je lui ecrirai des lettres, pour la _Revue_, sur mes
voyages
|