fois
tres justes; des serenades sous toutes les fenetres; des cafes pleins
de Turcs et d'Armeniens; de beaux et vastes theatres ou chantent la
Pasta et Donzelli, des palais magnifiques; un theatre de polichinelle
qui enfonce a dix pieds sous terre celui de Gustave Malus; des huitres
delicieuses, qu'on peche sur les marches de toutes les maisons; du vin
de Chypre a vingt-cinq sous la bouteille; des poulets excellents a dix
sous; des fleurs en plein hiver, et, au mois de fevrier, la chaleur de
notre mois de mai: que veux-tu de mieux?
Je ne me suis pas doutee des autres plaisirs de l'hiver. Je n'aime pas
le monde, comme tu sais. Je me suis bornee a deux ou trois personnes
excellentes, et j'ai vu le carnaval de ma fenetre.
Il m'a semble fort au-dessous de sa reputation. Il aurait fallu le
voir dans les bals masques, aux theatres; mais je me suis trouvee
malade a cette epoque-la et je n'ai pu y aller. Je le regrette peu; ce
que je cherchais ici, je l'ai trouve: un beau climat, des objets d'art
a profusion, une vie libre et calme, du temps pour travailler et des
amis. Pourquoi faut-il que je ne puisse batir mon nid sur cette
branche? Mes poussins ne sont pas ici et je ne puis m'y plaire qu'en
passant. J'attends le mois d'avril pour retraverser les Alpes, et je
m'en irai par Geneve. Je compte donc etre a Paris dans le courant du
mois prochain.
Quand j'aurai embrasse Maurice, j'irai passer l'ete en Berri. Engage
Casimir a garder Solange et a ne pas la mettre en pension avant mon
retour; cela m'empecherait d'aller a Nohant, et contrarierait beaucoup
mes projets de repos et d'economie.
Tu ne me parais pas si charme de la Chatre que moi de Venise: tu me
fais une peinture bouffonne de ses habitants. Vraiment la societe est
une sotte chose. L'amour du travail sauve le tout. Je benis ma
grand-mere, qui m'a forcee d'en prendre l'habitude. Cette habitude est
devenue une faculte, et cette faculte un besoin. J'en suis arrivee a
travailler, sans etre malade, treize heures de suite, mais, en
moyenne, sept ou huit heures par jour, bonne ou mauvaise soit la
besogne. Le travail me rapporte beaucoup d'argent et me prend beaucoup
de temps, que j'emploierais, si je n'avais rien a faire, a avoir le
spleen, auquel me porte mon temperament bilieux. Si, comme toi, je
n'avais pas envie d'ecrire, je voudrais du moins lire beaucoup. Je
regrette meme que mes affaires d'argent me forcent de faire toujours
sortir quelque chose de mon cerveau sans
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