feuilleton. La seule explication raisonnable est que le succes de
l'_Hetman_ n'est pas un succes litteraire, mais un succes militaire,
ce qu'il ne faut pas confondre. Qu'un jeune auteur ait la naivete de
s'autoriser de l'exemple, d'ecrire un drame ou l'action ne marchera pas,
ou des actes entiers ne seront qu'une composition de rhetoricien sur
un sujet quelconque; qu'il fasse cela, sans y mettre les fameux beaux
sentiments, et nous verrons s'il ne remporte pas un echec honteux.
Quelques observations de details sur les personnages, avant de finir. Le
roi Ladislas est stupefiant. J'ignore si l'artiste qui joue le role est
le seul coupable, mais on dirait vraiment un roi de feerie; on s'attend
a chaque instant a voir son nez s'allonger brusquement, sous le coup de
baguette de quelque mechante fee. Quant a la Marutcha, elle a trouve une
merveilleuse interprete dans madame Marie Laurent. Mais quel personnage
rococo! combien peu elle tient a l'action, et comme chacune de ses
tirades est attendue a l'avance! J'entendais une dame dire pres de moi,
en parlant de tous ces heros: "Ils crient trop fort." Le mot est juste
et contient la critique de la piece. Personne ne parle dans ce drame,
tout le monde y crie. On sort les oreilles cassees, et le fiacre qui
vous emporte semble continuer les cahots des tirades, sur le pave
de Paris. Toute la nuit, Stencko a hurle ses beaux sentiments a mes
oreilles, tandis que le vieux Froll-Gherasz psalmodiait les siens d'une
voix de basse. Le drame de M. Paul Deroulede est comme un corps d'armee
qui defilerait dans ma rue. Je ferme ma fenetre, agace par le vacarme,
qui m'empeche d'avoir deux idees justes l'une apres l'autre.
Je suis peut-etre tres severe. M. Paul Deroulede est jeune et merite
tous les encouragements. Il a du talent, d'ailleurs. Je n'aime pas
ce talent, voila tout. Je crois qu'un peu de verite dans l'art est
preferable a tout ce tra la la des beaux sentiments. Les bonshommes en
bois, meme lorsque le bois est dore, ne font pas mon affaire. Je
prefere a _l'Hetman_ un petit acte fin et vrai du Palais-Royal, _le Roi
Candaule_, par exemple. Au moins, nous sommes la avec des creatures
humaines. Qu'est-ce que c'est que Froll Gherasz? Un pere et un patriote.
Mais quel pere et quel patriote? Nous n'en savons rien. Froll-Gherasz
est une abstraction, il ressemble a un de ces personnages des anciennes
tapisseries, qui ont une banderole dans la bouche, pour nous dire
quels heros ils represen
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