la, pres de moi; maintenant que je t'ai, je ne te laisse
plus aller.
Felix m'apporta un gueridon tout servi et je me placai en face de mon
pere. En me voyant manger, il se prit a sourire:
--C'est presque comme autrefois, dit-il; seulement, autrefois, tu avais
un mouvement d'attaque, en cassant ton pain, qui etait plus net; on
sentait que l'affaire serait serieuse.
Je n'etais guere dispose a faire honneur a ce souper, car j'avais la
gorge serree par l'emotion; cependant, je m'efforcai a manger, et j'y
reussis assez bien pour que tout a coup mon pere appelat Felix.
--Donne-moi un couvert, dit-il; je veux manger une feuille de salade
avec Guillaume. Il me semble que je retrouve la force et l'appetit.
En effet, il s'assit sur son fauteuil et il mangea quelques feuilles de
salade; il n'etait plus le malade aneanti que j'avais trouve en entrant,
ses yeux s'etaient animes, sa voix s'etait affermie, le sang avait rougi
ses mains.
--Decidement, dit-il, je ne regrette plus de t'avoir appele a Paris et
je vois que j'aurais bien fait de m'y decider plus tot; tu es un grand
medecin, tu gueris sans remede, par le regard.
--Et pourquoi ne m'avez-vous pas ecrit la verite plus tot?
--Parce que, dans les circonstances ou nous sommes, je ne voulais
pas t'enlever a ton regiment; qu'aurais-tu dit, si a la veille d'une
expedition contre les Arabes, je t'avais demande de venir passer un mois
a Paris?
--En Algerie, j'aurais jusqu'a un certain point compris cela, mais a
Marseille nous ne sommes pas exposes a partir en guerre d'un jour a
l'autre.
--Qui sait?
--Craignez-vous une revolution?
--Je la crois imminente, pouvant eclater cette nuit, demain, dans
quelques jours. Et voila pourquoi, depuis trois semaines que je suis
malade, j'ai toujours remis a t'ecrire; je l'attendais d'un jour
a l'autre, et je voulais que tu fusses a ton poste au moment de
l'explosion. Un pere, plus politique que moi, eut peut-etre profite de
sa maladie pour garder son fils pres de lui et le soustraire ainsi au
danger de se prononcer pour tel ou tel parti. Mais de pareils calculs
sont indignes de nous, et jusqu'au dernier moment, j'ai voulu te laisser
la liberte de faire ton devoir. Il suffit d'un seul officier honnete
homme dans un regiment pour maintenir ce regiment tout entier.
--Mon regiment n'a pas besoin d'etre maintenu et je vous assure que mes
camarades sont d'honnetes gens.
--Tant mieux alors, il n'y aura pas de divisions entre v
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