ous. Mais si tu
n'as pas besoin de retourner a ton regiment pour lui, tu en as besoin
pour toi; il ne faut pas que plus tard on puisse dire que dans des
circonstances critiques, tu as eu l'habilete de te mettre a l'abri
pendant la tempete et d'attendre l'heure du succes pour te prononcer.
--Mais je ne peux pas, je ne dois pas vous quitter; je ne le veux pas.
--Aujourd'hui non, ni demain; mais j'espere que ta presence va continuer
de me rendre la force; tu vois ce qu'elle fait, je parle, je mange.
--Je vous excite et je vous fatigue sans doute.
--Pas du tout, tu me ranimes; aussi prochainement tu seras libre de
retourner a Marseille; de sorte que, si les circonstances l'exigent,
tu pourras engager bravement ta conscience. C'est ce que doit toujours
faire l'honnete homme, comme, dans la bataille, le soldat doit engager
sa personne; apres arrive que voudra; si on est tue ou broye, c'est
un malheur; au moins, l'honneur est sauf. Cette ligne de conduite a
toujours ete la mienne, et, bien que je sois reduit a vivre aujourd'hui
dans ce modeste appartement, sans avoir un sou a te laisser apres moi,
je te la conseille, pour la satisfaction morale qu'elle donne. Je
t'assure, mon cher enfant, que la mort n'a rien d'effrayant quand on
l'attend avec une conscience tranquille.
--Oh pere!
--Oui, tu as raison, ne parlons pas de cela; je vais me depecher de
reprendre des forces pour te renvoyer. Cela me donnerait la fievre de te
voir rester a Paris.
--Avez-vous donc des raisons particulieres pour craindre une revolution
immediate?
--Si je ne sors pas de cette chambre depuis un mois, je ne suis
cependant pas tout a fait isole du monde. Mon voisinage du
Palais-Bourbon fait que les deputes que je connais me visitent assez
volontiers; certains qu'ils sont de me trouver chez moi, ils entrent un
moment en allant a l'Assemblee ou en retournant chez eux. Plusieurs
des amis du general Bedeau, qui demeure dans la maison, sont aussi les
miens, et en venant chez le general ils montent jusqu'ici. De sorte que
cette chambre est une petite salle des Pas-Perdus ou une douzaine de
deputes d'opinions diverses se rencontrent. Eh bien! de tout ce que j'ai
entendu, il resulte pour moi la conviction que nous sommes a la veille
d'un coup d'Etat.
--Il me semble qu'il ne faut pas croire aux coups d'Etat annonces a
l'avance; il y a longtemps qu'on en parle....
--Il y a longtemps qu'on veut le faire; et si on ne l'a pas encore
risque, c'est
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