es, faisaient qu'ils se preparaient a ce voyage
comme a la mort, ils mettaient ordre a leurs affaires domestiques, et
plusieurs faisaient leur testament; ils se reconciliaient avec leurs
ennemis, mais surtout ils avaient grand soin de restituer le bien mal
acquis, et d'examiner s'ils n'avaient rien a se reprocher en cette
matiere. Le sire de Joinville raconte de lui-meme ce qu'il fit avant de
partir, en ces termes:
"Je fus toute la semaine a faire fetes et banquets avec mon frere de
Vauquelour et tous les riches hommes du pays qui la etoient, et disoient
apres que avions bu et mange chansons les uns apres les autres, et
demenoient grande joie chacun de sa part, et quand ce vint le vendredi,
je leur dis: Seigneurs, saiches que je m'en vais outre-mer, je ne scai
si je reviendrai jamais ou non; pourtant, s'il y a nul a qui j'aye
jamais fait aucun tort, et qu'il veuille se plaindre de moi, se tire
avant, car je le veux amander, ainsi que j'ai coutume de faire a ceux
qui se plaignent de moi ne de mes gens, et ainsi le feys par commun
dit des gens du pays et de ma terre. Et afin que je n'eusse point de
support, leur conseil tenant, je me tirai a quartier, et en voulus
croire tout ce qu'ils en rapporteroient sans contredict; et le faisoye,
parce que je ne vouloye emporter un seul denier a tort. Et pour faire
mon cas, je engaige a mes amis grande quantite de ma terre, tant qu'il
ne me demoura point plus haut de douze cents livres de terre de rente:
car madame ma mere vivoit encore qui tenoit la plupart de mes choses en
douaire."
Le religieux monarque donnait lui-meme l'exemple de ces oeuvres de
piete, moins pour se conformer a la coutume usitee dans ces sortes
d'occasions, que par la disposition de son coeur a la plus exacte
justice. Son principal soin fut de decouvrir et de reparer les desordres
commis par ses officiers. Il envoya des commissaires dans toutes les
provinces pour s'informer s'il n'y avait rien de mal acquis dans ses
domaines. On ne voit pas meme qu'il s'en soit fie a ces premiers
envoyes: il fit partir secretement de saints ecclesiastiques et de bons
religieux, pour aller faire les memes informations, afin de voir par
leur rapport si ceux qu'il croyait gens de bien n'etaient pas eux-memes
corrompus. Il y eut tres-peu de plaintes, et, dans ce petit nombre,
celles qui se trouverent fondees, obtinrent les satisfactions
convenables.
Le roi, tout occupe qu'il etait des preparatifs de son voyage, ne voyait
qu'a
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