mes au milieu d'une grande
quantite de voitures, conduites par des hommes de differentes nations,
marchant sur trois ou quatre rangs, sur une etendue de plus d'une
lieue. L'on entendait parler francais, allemand, espagnol, italien,
portugais, et d'autres langues encore, car des paysans moscovites
suivaient aussi, ainsi que beaucoup de juifs: tous ces peuples, avec
leurs costumes et leurs langages differents, les cantiniers avec leurs
femmes et leurs enfants pleurant, se pressant en tumulte et en un
desordre dont on ne peut se faire une idee. Quelques-uns avaient deja
leurs voitures brisees; ceux-la criaient et juraient, de maniere que
c'etait un tintamarre a vous casser la tete. Nous finimes, non sans
peine, a depasser cet immense convoi, qui etait celui de toute
l'armee. Nous avancames sur la route de Kalouga (la, nous etions en
Asie); un instant apres, nous arretames pour bivaquer dans un bois, le
reste de la nuit, et comme elle etait deja tres avancee, notre repos
ne fut pas long.
A peine s'il faisait jour, que nous nous remimes en marche. Nous
n'avions pas encore fait une lieue, que nous rencontrames encore une
grande partie du fatal convoi, qui nous avait depasses pendant le peu
de repos que nous avions pris. Deja, une grande partie des voitures
etaient brisees et d'autres ne pouvaient plus avancer, a cause que le
chemin etait de sable et que les roues enfoncaient beaucoup. L'on
entendait crier en francais, jurer en allemand, reclamer le bon Dieu
en italien, et la Sainte Vierge en espagnol et en portugais.
Apres avoir passe toute cette bagarre, nous fumes obliges d'arreter
pour attendre la gauche de la colonne. Je profitai de cette
circonstance pour faire une revue de mon sac, qui me semblait trop
lourd, et voir s'il n'y avait rien a mettre de cote afin de m'alleger.
Il etait assez bien garni: j'avais plusieurs livres de sucre, du riz,
un peu de biscuit, une demi-bouteille de liqueur, le costume d'une
femme chinoise en etoffe de soie, tissee d'or et d'argent, plusieurs
objets de fantaisie en or et argent, entre autres un morceau de la
croix du grand Ivan[20], c'est-a-dire un morceau de l'enveloppe qui la
recouvrait, qui etait d'argent dore et qui m'avait ete donne par un
homme de la compagnie qui avait ete commande de corvee avec d'autres
hommes du meme etat, couvreurs et charpentiers, pour la detacher.
[Note 20: J'ai oublie de dire qu'au milieu de la grande croix de
Saint-Ivan, il s'en trouvait une petite en
|