ments, les plus voluptueux qui soient ici-bas, le detachement, pour
un homme comme lui, est absolu, le renoncement parfait et facile, la
personnalite delicieusement oubliee et detruite;--et ce sont ces moments
que Voltaire n'a jamais connus.
La curiosite n'y suffit point, quoique, deja, ce soit une tres haute
distinction. Il y faut davantage; et c'est a ce degre que Voltaire
ne s'est pas eleve. Il s'eprend des idees avec avidite, non avec
enthousiasme; il a du plaisir a penser, non du bonheur; et toutes les
idees l'attirent et aucune ne le retient, et, partant, il sera tour
a tour, tres vivement et courtement seduit par l'une, et, sans s'en
apercevoir, par la contraire; et de chacune il aura saisi vite et un
instant connu, non le fond et l'intimite, mais les brillants dehors, les
abords attrayants, presque l'apparence seule, et les contours legers qui
la dessinent.--Superficiel parce qu'il est etroit, etroit parce qu'il
est egoiste, c'est bien l'homme; avec quelle legerete gracieuse, quel
elan preste et precis, quel investissement rapide et vif, a la francaise
et en conquerant qui ne fonde pas de colonies, mais laisse partout son
nom eclatant et sonore, je le sais; mais enfin a la course, et avec des
oublis, des contradictions, des efforts inutiles, des distractions, et
peu de resultats.
Car enfin il a tout regarde, tout examine, et rien approfondi, ce
semble; et qu'est-il?
Est-il optimiste? Est-il pessimiste?--Croit-il au libre arbitre humain
ou a la fatalite? Croit-il a l'immortalite de l'ame, ou a l'ame purement
materielle et mortelle?--Croit-il a Dieu? Nie-t-il toute metaphysique
et est-il un pur agnostique, ou ne l'est-il que jusqu'a un certain
point, c'est-a-dire est-il encore metaphysicien?--En histoire est-il
fataliste, ou croit-il a l'action de la volonte individuelle sur le
cours des destinees?--En politique est-il liberal ou despotiste?--En
religion, oui, meme en religion, est-il abolitioniste radical, ou
abolitioniste modere, c'est-a-dire encore, non pas certes religieux,
mais conservateur du culte?--Je defie qu'on reponde par un oui ou par un
non bien tranche sur aucune de ces affaires, et, selon la question, on
sera plus rapproche du non que du oui, ou du oui que du non, et sur
certaines a egale distance de l'un et l'autre; mais jamais, si l'on est
sincere, on ne pourra adopter la negative certaine ou l'affirmative
absolue, et, si on le relit, s'y tenir.
Non pas qu'il soit sceptique, ou qu'il soit
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