s'il n'avait fait autre chose de toute sa
vie, et ce qui, du reste, est tres bien. C'est une conscience qu'il
se fait sur le tard, et une estime de soi qu'il se menage au dernier
moment, et certes, c'est la seule chose qui lui manquat encore. Il est
complet desormais; le bourgeois s'est epanoui en gentilhomme terrien, en
grand seigneur attache au sol, bienfaisant et protecteur, ce qui vaut
mieux, il le fait remarquer, et il a raison, que de courre la pension et
le cordon a Versailles.
Il joue ce role, comme tous les roles, "en excellent acteur", mais un
peu en acteur, avec une insuffisante simplicite. Quand il communie a son
eglise, c'est par interet, c'est par malice et pour faire une niche a
l'eveque d'Annecy; c'est aussi pour s'etablir dans le personnage de
seigneur, et pour haranguer avec dignite, comme c'est son "privilege",
ses "vassaux", a l'issue de l'office.
C'est une belle vie et une belle fin. Il ne lui a manque qu'une solide
estime publique: "Je n'ai jamais eu de _popularite_, s'il vous plait,
disait Royer-Collard, dites un peu de _consideration_". Pour Voltaire,
c'a ete l'inverse. Ne nous y trompons point. Il a occupe et charme
le monde, il ne s'en est pas fait respecter. Cette "royaute
intellectuelle", de Voltaire, n'est qu'une jolie phrase. Ses
contemporains l'admirent beaucoup et le meprisent un peu. Diderot le
meprise meme beaucoup, et evite de lui ecrire. Duclos se tient sur
la reserve et le tient a distance. Dalembert le rudoie durement, a
l'occasion, et les occasions sont frequentes, et d'un ton qui va jusqu'a
surprendre. Quant a Frederic, il ne semble tenir a ecrire a Voltaire et
lui dire des douceurs, que pour en prendre le droit de le fouetter, de
temps a autre, du plus cruel et lourd et injurieux persiflage qui se
puisse imaginer. M. Jourdain a eu de durs moments; Roscius a ete bien
vertement siffle dans la coulisse; mais qu'importe quand on est applaudi
sur le theatre?--Des rois, des princes lui ecrivent amicalement, sans
doute. Je ferai simplement remarquer qu'autant en advint a l'Aretin, et
si l'on examine d'un peu pres, on verra que c'est pour les memes motifs,
et qu'entre l'Aretin a Venise et Voltaire a Ferney il y a des analogies.
C'etait un homme tres primitif en son genre: il ignorait la distinction
du bien et du mal profondement. C'etait le coeur le plus sec qu'on
ait jamais vu, et la conscience la plus voisine du non-etre qu'on ait
constatee. Il se releve par d'autres cotes, et no
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