peuple ne connait pas, uniquement parce qu'il peut
alors la travestir a l'aise.
L'epreuve est concluante, la possibilite du mensonge s'arrete a la
Revolution. Pour que le drame historique s'attaquat a notre histoire
contemporaine, il lui faudrait renouveler sa formule, chercher ses
effets dans la verite, trouver le moyen de mettre sur les planches
les personnages reels dans les milieux exacts. Un homme de genie est
necessaire, tout bonnement. Si cet homme de genie ne nait pas bientot,
notre drame historique mourra, car il est de plus en plus malade, il
agonise au milieu de l'indifference et des plaisanteries du public.
Quant a _l'Inquisition_, de M. Gelis, jouee au Theatre des Nations,
c'est un melodrame noir qui arrive quarante ans trop tard. Cela ne vaut
pas un compte rendu. Je n'en parlerais meme pas, sans la mort terrible
de M. Jean Bertrand, ce drame reel et poignant qui s'est joue a cote de
ce melodrame imbecile, et qui lui a donne une affreuse celebrite d'un
jour.
On se souvient des esperances qui avaient accueilli M. Bertrand, a son
entree comme directeur au Theatre des Nations. Il semblait que notre
Republique elle-meme s'interessat a l'affaire; des personnages puissants
patronnaient, disait-on, le nouveau directeur; on allait enfin avoir
une scene nationale, on eleverait les ames, on elargirait l'ideal, on
continuerait 1830, mais un 1830 republicain, qui acheverait devant le
trou du souffleur la besogne commencee a la tribune de la Chambre.
Helas! M. Bertrand dort aujourd'hui dans la terre, empoisonne.
C'etait un honnete homme. Il avait cru a toutes les belles phrases, il
arrivait reellement pour relever l'ideal avec des tirades patriotiques.
Son idee etait que notre jeune litterature attendait l'ouverture d'un
theatre republicain pour produire des chefs-d'oeuvre. Et il s'etait mis
ardemment a la besogne. Quelques mois ont suffi pour le desesperer et
le tuer. Toutes ses tentatives echouaient; _Camille Desmoulins_ et _les
Mirabeau_ etaient bien empruntes a notre Revolution, mais le public
ne voulait pas de notre Revolution accommodee a cette etrange sauce;
_Notre-Dame de Paris_ elle-meme, qui aurait pu etre une bonne
affaire pour la direction, si elle s'etait arretee a la cinquantieme
representation, l'avait laissee, apres la centieme, dans des embarras
d'argent. Jamais on n'a vu des ambitions plus genereuses aboutir si vite
a une catastrophe plus lamentable.
On dit que M. Bertrand avait la tete faib
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