s des poetes et des romanciers, et qui saluent
avec des yeux mouilles de larmes le retour de toutes les vieilleries
du boulevard du Crime, surtout lorsqu'elles sont en mauvais style. Je
connais leur raisonnement: "Nous sommes au theatre, faites-nous du
theatre. Nous nous moquons du talent, du bon sens et de la langue
francaise, du moment ou nous nous asseyons dans notre fauteuil
d'orchestre. Nous preferons un imbecile qui nous fera du theatre, a un
homme de genie qui ne nous fera pas du theatre." Telle est la theorie.
Elle suppose un absolu, le theatre, une chose qui est a part, immuable,
a jamais fixee par des regles. C'est ce qui m'enrage.
Et, d'ailleurs, je veux bien que le theatre soit a part, qu'il y faille
des qualites particulieres, qu'on s'y preoccupe des conditions ou
l'oeuvre dramatique se produit. Mais, pour l'amour de Dieu! que le
talent, la personnalite et l'audace de l'auteur comptent aussi un peu
dans l'affaire. Nous ne sommes pas dans la mecanique pure. Il s'agit de
peindre des hommes et non de faire mouvoir des pantins. La necessite de
la situation s'impose, soit; mais encore faut-il, pour que l'oeuvre
ait une reelle valeur humaine, que la situation se presente comme une
resultante des caracteres; si elle est simplement une aventure, nous
tombons au roman-feuilleton, a la plus basse production litteraire.
Voici, par exemple, _le Chien de l'Aveugle_. Ce drame est la mise en
oeuvre d'une cause celebre, l'affaire Gras, qui est encore presente a
toutes les memoires. Je constate d'abord un changement qui me gate la
realite, la femme Gras avait pour complice un ouvrier sans education,
qu'elle avait affole d'amour au point de le pousser au crime. Les
auteurs, qui sont des gens de theatre, ont eu peur de cet ouvrier, de
cette brute docile; comment ecrire des scenes avec un pareil complice,
comment interesser et attendrir? Et ils ont eu la belle imagination de
changer l'ouvrier en un chirurgien du plus rare merite, Octave Froment,
un amoureux decent, facile a manier, et qui ne peut blesser personne.
Eh bien, cette transformation tue le sujet. L'heroine est diminuee, car
elle n'est plus la seule volonte; tout se trouve deplace, c'est Octave
Froment qui commet le crime, nous n'avons plus le beau cas de cette
femme usant de la toute-puissance de son sexe. La madame de La Barre des
auteurs devient sympathique. C'est la le triomphe du theatre.
Mais ou l'admiration des critiques a eclate, c'est dans ce qu'ils
ont
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