creation enigmatique, Ruskoe, un bossu, un chetif, qui, ne pouvant
servir, son pays par l'epee, le sert a sa maniere en se faisant espion.
Pour tout le monde, il est l'espion du roi; mais, en realite, il
travaille a la delivrance de la patrie, il est l'espion de Wasa. Certes,
la figure etait faite pour tenter un dramaturge: ce pauvre etre hue,
lapide, vivant dans le mepris de ses freres, poussant le devouement
jusqu'a accepter l'infamie, attendant des semaines, des mois, avant
de pouvoir se redresser dans son honneur et dire son long heroisme.
J'estime cependant que Ruskoe n'a pas donne tout ce que l'auteur en
attendait, et cela pour diverses raisons.
La premiere est que l'interet hesite entre lui et Marthe. Sans doute
ces deux personnages se rencontrent, lorsque, au quatrieme acte, Ruskoe
vient offrir le pardon a la femme qui a trahi, en lui donnant les moyens
de sauver Stockholm. La scene est fort belle. Seulement, le lien reste
bien faible en eux, l'attention se porte de l'un a l'autre, sans pouvoir
se fixer d'une maniere definitive. Mais la principale raison est que
Ruskoe n'agit pas assez. L'auteur, en voulant le rendre interessant a
force de mystere, l'a trop efface. Pendant quatre tableaux, on attend
l'explication que Ruskoe donne au cinquieme; tout le monde a devine, il
n'a plus rien a nous apprendre, quand il laisse echapper son secret,
dans un elan de douleur et d'espoir. Puis, sa confidence faite, il
retourne au second plan. Le denoument appartient a Marthe, et non a lui.
Il sort de l'ombre, recite son affaire, et rentre dans l'ombre. Cela lui
ote toute hauteur. Il aurait fallu, j'imagine, le montrer plus actif
dans le denoument. Au theatre, ce qu'on dit importe peu; l'important
est ce qu'on fait. Ruskoe est une draperie, rien de plus; il n'y a pas
dessous un personnage vivant.
Je neglige les roles secondaires: Hedwige, la fille noble, au coeur
de patriote, qui aime Tolben; le chevalier de Soreuil, le gentilhomme
francais de rigueur, qui se promene dans tous les drames russes,
americains ou suedois, en distribuant de grands coups d'epee. Mon
opinion, en somme, est celle-ci. Les deux premiers tableaux sont lents,
embarrasses, d'un effet presque nul. Au troisieme tableau, mademoiselle
Angele Moreau, qui joue Karl, meurt d'une facon dramatique, et madame
Marie Laurent, Marthe Tolben, pousse des sanglots si vrais et si
dechirants, que le public commence a s'emouvoir. Au quatrieme, il y a un
double duel admirab
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