l'action dans le brouillard. On raconte que
M. Ernest Blum a promene son drame de nationalites en nationalites,
avant de le planter a Stockholm. Il a eu ses raisons sans doute; mais je
lui predis qu'il ne s'en repentira pas moins d'avoir pousse le dedain de
nos preoccupations quotidiennes jusqu'a nous mener dans une contree dont
la grande majorite des spectateurs ne sauraient indiquer la position
exacte sur la carte de l'Europe. Nous rions et nous pleurons ou est
notre coeur.
Je connais le raisonnement qui fait de nous les freres de tous les
peuples opprimes. Cela est vague. On peut applaudir une tirade contre
la tyrannie, sans s'interesser autrement au personnage qui la lance. Je
vous demande un peu qui s'inquiete de Christian II, un roi conquerant,
une sorte de fou imbecile et feroce, tombe sous la domination d'une
favorite, et qui ensanglantait la Suede par des executions continuelles,
afin d'affermir par la terreur son trone chancelant? Lorsque, au
denoument, Gustave Wasa, le liberateur, le roi aime et attendu, delivre
Stockholm, on prend son chapeau et on s'en va, bien tranquille, sans la
moindre emotion. Est-ce que ces gens-la nous touchent? Si le genie
leur soufflait sa flamme, ils pourraient ressusciter du passe et nous
communiquer leurs passions. Seulement, le genie, dans les melodrames,
n'est d'ordinaire pas la pour accomplir ce miracle. Quand un auteur
a simplement de l'intelligence et de l'habilete, il decoupe les
personnages historiques, comme les enfants decoupent des images.
Je trouve donc le cadre facheux, et je maintiens qu'il nuira au drame.
La principale situation dramatique sur laquelle l'oeuvre repose avait
une certaine grandeur. Il s'agit d'une mere, Marthe Tolben, qui adore
ses fils; le plus jeune, Karl, meurt dans ses bras, tue par un officier
du tyran; l'aine, Tolben, est arrete et va etre execute, si Marthe ne
trahit pas les patriotes de Stockholm, qui conspirent pour la delivrance
du pays. Mais sa trahison tourne contre la malheureuse femme; Tolben
lui-meme est accuse de son crime et veut se faire tuer, pour se laver
d'une telle accusation aux yeux de ses compagnons d'armes. Alors, cette
mere, qui a sacrifie la patrie a ses fils, se sacrifie elle-meme pour la
patrie, meurt en ouvrant une des portes de Stockholm a Gustave Wasa; et
c'est la une expiation tres haute, qui devrait donner une grande largeur
au denoument.
M. Ernest Blum ne s'est point contente de cette figure. Il a imagine
une
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