une couche de
badigeon en recrepissant la facade. O facheuse restauration! Mais n'en
suis-je pas responsable et ne l'ai-je pas ordonnee? Quand on est
grand, on accomplit des choses sacrileges. On les fait sans penser a
mal. J'aurai dit, negligemment sans doute: "Ce pauvre cadran ne sert
plus a rien." C'etait avant la taille des arbres. On a tort de laisser
tomber sa pensee, car elle se ramasse. Un macon qui m'avait entendu
crut m'obliger avec son pinceau, et quand je voulus l'arreter dans son
zele, il etait trop tard. Et puis ces changements, que je me contrains
a enumerer, je vous le confesse, ne m'affectent guere. Ne me croyez
pas insensible pour autant. Je ne vois pas la maison telle qu'elle
est. On la barbouillerait du haut en bas que je ne m'en apercevrais
point. Je continue a la voir telle qu'elle fut de mon temps, du temps,
vous savez bien, que j'etais petit. Je l'ai dans les yeux pour le
restant de mes jours.
De bonnes vieilles lezardes, qui ressemblaient a des sourires et non
pas a des rides, ont ete bouchees hermetiquement. Un corps de batiment
a ete ajoute pour la commodite de l'amenagement interieur. Et, comme
les tuiles tombaient, on les a remplacees par des ardoises. Je ne dis
pas de mal des ardoises. Il en est d'un gris presque mauve pareil au
plumage des tourterelles, et sous le soleil elles miroitent. Mais les
toits d'ardoises sont plats et monotones, uniformes et indifferents,
tandis que les tuiles inegales, arrondies, bossuees ont l'air de
bouger, de remuer, de s'etirer comme de bonnes tortues de jardin qui
soupirent apres le beau temps ou font le gros dos pour protester
contre le vent et la pluie. Les teintes vont du rouge au noir, en
passant, avec lenteur ou brusquerie, par tous les tons degrades. Et si
l'on a des yeux pour voir, on peut, rien qu'a leur patine, deviner
l'age de la maison.
Mais cet age est inscrit avec precision sur la plaque noircie de la
grande cheminee qui est la gloire de la cuisine. Des que j'avais su
epeler mes lettres et mes chiffres, mon pere m'avait donne a lire la
date dont je comprenais bien qu'il tirait de l'orgueil, tandis que mon
grand-pere ricanait de la petite ceremonie et murmurait par derriere,
a mi-voix pour ne pas trop attirer l'attention et assez distinctement
pour que je l'entendisse neanmoins: "Laissez donc cet enfant
tranquille!" Est-ce 1610 ou 1670, on ne peut pas trancher la
difficulte avec certitude. Il faudrait convoquer toutes nos academies
locales.
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