paraissait une concession miserable a la mode. Il
detestait tout ce qui le genait et se serait accommode pour la journee
entiere d'une robe de chambre verte et d'un bonnet grec en velours
noir dont il se trouvait bien et qu'il lui arriva d'apporter au
dejeuner de midi. Quand nous le voyons apparaitre dans cet
accoutrement, mes freres et moi, nous etouffions nos rires qu'un
regard de mon pere suspendait, mais ce regard meme contenait un blame
pour la fameuse robe de chambre.
On avait beaucoup de peine a obtenir son exactitude aux repas.
--Eh! declarait-il avec bonhomie, on mange quand on a faim. Cette
reglementation est absurde.
--Cependant, objectait mon pere qui, visiblement, n'etait pas content
et qui essayait de parler avec douceur, --mais de la douceur de mon
pere se degageait encore une impression d'autorite, --il faut de
l'ordre dans une maison.
--L'ordre, l'ordre, oh! oh!
Il fallait entendre ces _oh! oh!_ discrets, sourds, lances a la
cantonade, qui atteignaient toute la regularite etablie, et
qu'accompagnait un petit rire sec. Ce petit rire placait immediatement
grand-pere au-dessus de ses interlocuteurs. Je n'ai rien rencontre,
dans les expressions humaines, de plus inquietant, de plus moqueur, de
plus ironique que ce petit rire. Il vous donnait aussitot l'idee que
vous etiez une bete. Il me faisait l'effet de ces secateurs bien
tranchants avec lesquels on elague les rosiers: ric, rac, les fleurs
tombent; ric, rac, il n'y a plus rien. Or grand-pere en faisait
l'injure, involontaire sans doute, a tout le monde.
Sa presidence a table etait honorifique et non effective. Non
seulement il ne dirigeait pas la conversation, mais il ne la suivait
que par hasard et quand ca lui chantait. Du reste, il ne s'occupait de
rien. Se promenait-il dans le jardin, poussait-il jusqu'a la vigne,
Tem, Mimi et Pendu reunis ne parvenaient pas a obtenir de lui une
indication. Il esquissait un geste vague qui signifiait: "Laissez-
moi en repos." Le trio n'insistait pas outre mesure, car ce silence le
favorisait et les choses n'en marchaient pas mieux.
Une autre superiorite qu'il avait, outre son rire, c'etait son violon.
Ne figurait-il pas dans la galerie des portraits, tout jeune et tout
frise, avec une guitare dans les mains?
--De ma vie, je n'ai pince de cette affreuse machine, protesta-t-il un
jour. Mais un Italien de passage a eprouve le besoin de me
barbouiller.
--Tu etais si joli, proclama tante Dine. L'arti
|