musique et
qui, de loin, donnent l'impression d'un important convoi, je le dois a
vos histoires et a vos chansons. La voici qui s'avance joyeusement et
bruyamment des que ma pensee l'appelle, c'est-a-dire tous les jours. A
cause d'elle, je ne pourrai jamais me plaindre du sort. Je l'entends
avant de la voir, mais quand elle surgit au detour du chemin qui vient
a moi du passe, elle porte dans ses bras toutes les fleurs du
printemps. Vous meritez bien que je vous en offre un bouquet, et meme
un bouquet de coquelicots, pour toutes vos romances qui s'ajoutaient a
vos soins et a vos prieres. Car vous priiez tout fort, sur l'escalier
comme a l'eglise, et meme quand vous brandissiez la tete de loup. Le
silence vous etait desagreable. C'est pourquoi, chere tante Dine, je
le romps ce soir et vous parle...
Tante Dine menait une garde serieuse autour de la maison. Pour s'en
approcher, il fallait montrer patte blanche. Elle designait sous le
nom de _ils_ les ennemis invisibles qui etaient censes nous investir.
Longtemps ces _ils_ mysterieux nous effrayerent. Nous les cherchions
autour de nous des qu'elle en parlait. A force de ne pas les
rencontrer, nous finimes par en rire, sans savoir que ce rire nous
desarmait et que plus tard nous devions les retrouver en chair et en
os. Sa partialite ne fut jamais en defaut. Des que la famille etait en
cause, elle exigeait qu'on lui adressat des louanges immediates, sans
quoi elle se rebiffait, prete au combat. Quelqu'un ayant hasarde un
blame anodin se vit toiser de pied en cap et, pour masquer sa defaite,
voulut manier l'ironie.
--J'oubliais, declara-t-il, que votre maison, c'est l'arche sainte.
--Et la votre l'arche de Noe, repliqua-t-elle du tac au tac, sachant
que son interlocuteur recevait toutes sortes de gens heteroclites.
On petrissait alors le pain a l'office, dans un petrin quasi
seculaire, avant de le porter au four banal. Tante Dine, qui aimait
les gros ouvrages, surveillait cette operation et meme, volontiers, y
mettait les mains. Un jour que j'y assistais, au moment ou la servante
allait melanger la farine, l'eau et le levain, ma tante la secoua avec
vivacite.
--A quoi pensez-vous, ma fille?
--A petrir, mademoiselle.
--Vous oubliez le signe de la croix.
Car, dans les bonnes maisons on n'omet pas le signe de la croix sur la
farine blanche qui va se changer en pain. A table, mon pere, avant
d'entamer la miche, ne manquait point de tracer une croix avec deux
ent
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