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on s'est cru menace, mais parce qu'elle m'ouvrit veritablement le mysterieux royaume des livres. Je n'ignorais ni la _Bibliotheque rose_, ni le chanoine Schmid, ni les romans de Jules Verne, ni meme les contes de Perrault et d'Andersen, mais je n'y avais pas rencontre ce mouvement du coeur qui, le soir, vous tient au lit reveille dans l'attente et la crainte d'on ne sait quoi d'agreable et d'un peu dangereux, tel que me l'avaient donne les histoires stupefiantes de tante Dine et surtout les recits epiques de mon pere. Pour ne pas me fatiguer, on commenca par m'apporter des ouvrages illustres. Bernard me laissa feuilleter les albums d'Epinal qu'il collectionnait pour les costumes militaires et qu'il ne pretait pas sans merite. Je reclamai la Bible de Gustave Dore, dont on m'avait montre une fois, par faveur speciale, les gravures au salon sans me permettre d'y toucher. On installa sur une table, en grande pompe, les deux pesants volumes relies en rouge et je passai de longues heures a tourner les feuillets. Ma mere allait et venait dans la chambre, un peu etonnee de ma sagesse, et meme inquiete de mon silence. Elle s'approchait et sans bruit regardait par-dessus mon epaule: --Tu ne te fatigues pas? --Oh! non. --Tu ne t'ennuies pas? --Oh! maman. --C'est beau? --Je ne sais pas. On ne sait pas ce qui est beau quand on est enfant. Ce qui est beau, c'est d'avoir le coeur plein. Quel elan recevait d'un seul coup tout mon etre sensible! Les contours de la terre, sans cadre, ne m'avaient pas frappe. Maintenant que, transcrits, ils tenaient sur un carre de papier, voici que je les voyais, non seulement sur la page immobile, mais en plein air, et vivants. La maison avec ses grosses pierres, le jardin clos de murs, je les touchais, je les comprenais, je les possedais, et d'ailleurs, ils m'appartenaient. Mais, au dela, commencait l'univers dont le manque de limites m'avait rebute, de sorte que je ne lui attribuais pas de formes precises. Et ces formes, elles etaient la, devant moi a travers la Bible ouverte je les decouvrais. A trente ans de distance, dans mes souvenirs qui n'ont pas besoin de controle, je retrouve les images de Gustave Dore. Les pages se tournent toutes seules, et mes chers fantomes apparaissent. Voici les visions d'epouvante: le Leviathan qui souleve la mer, l'Ange exterminateur qui detruit l'armee de Sennacherib, la rangee des elephants de Nicanor que Judas Macchabee va traverser, et la Mor
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