ma place parmi les
petits collegiens de mon age sans meme savoir que ces trois mois
ecoules m'avaient change le coeur.
LIVRE III
I
LA POLITIQUE
Apres cette longue convalescence, je retournai, en effet, au college.
C'etait un vieux college ou de bons religieux distribuaient une
instruction emoussee. On y pouvait travailler quand les camarades n'y
mettaient pas trop directement obstacle, mais il etait plus commode de
s'y livrer a des industries clandestines, telles que l'elevage des
mouches et des hannetons, la caricature, les lectures defendues et
meme les explorations dans les corridors. La surveillance n'y
depassait pas l'instruction. Jamais l'idee ne m'etait venue de
considerer comme une prison ce batiment tout perce de portes et de
fenetres, ou l'on entrait et d'ou l'on sortait a volonte sous l'oeil
paterne d'un nouveau portier uniquement occupe de ses fleurs et d'une
tortue dont il observait les moeurs. Mais j'etais ne au sentiment de
la liberte, et partant a la notion de l'esclavage. Je m'exercai donc a
me trouver malheureux.
Les jours de sortie, je reprenais mes promenades avec grand-pere.
Notre complicite, d'elle-meme, s'etablit. Si l'un ou l'autre de mes
freres et soeurs nous etait adjoint, nous n'echangions que des propos
rassurants. Quand nous etions seuls, nous nous exaltions sur le
bonheur des champs et sur la fraternite des hommes, a quoi, seule, la
propriete, avec toutes ses clotures, s'opposait. J'apprenais que
l'argent est la cause de tous les maux, qu'il convient de le mepriser
et supprimer, et que les seuls biens necessaires ne coutent rien, a
savoir la sante, le soleil, l'air pur et la musique des oiseaux, et
tout le plaisir des yeux. Mes professeurs, plus soucieux de latin que
de philanthropie, negligeaient de me l'enseigner autrement que par
leur exemple auquel je ne pretais pas attention. Plus de villes, plus
d'armees (et Bernard qui preparait Saint-Cyr et qu'on avait oublie
d'informer de ces verites!), plus de juges, plus de proces perdus,
plus de maisons. J'estimais que grand-pere allait tout de meme un peu
loin. Plus de maisons? et la notre? la notre qu'on avait reparee et
toute remise a neuf. Peu m'importaient les autres, pourvu qu'on
l'epargnat.
--Mais non, petit nigaud, les peuples de pasteurs dormaient a la belle
etoile. C'est plus hygienique.
Abraham, quand il s'en allait dans la terre de Chanaan, devait dormir
a la belle etoile, et de meme les bergers que nous avions renc
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