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m'abaisser jusqu'a jouer avec mes cadets, la delicate Nicole qui ne
cessait de deranger ma mere pendant qu'elle ecrivait aux absents, et
le tumultueux Jacquot pour qui j'eusse volontiers retabli les fortes
disciplines dont je ne me souciais plus pour moi-meme. Je les traitais
de mon haut: ils ne pouvaient me comprendre. De sorte que mon
veritable camarade, c'etait grand-pere.
Deux ou trois fois, mon pere, choque de mes silences ou de mes airs
sucres, s'en plaignit dans ces conseils de famille dont les enfants ne
manquent guere d'attraper des bribes:
--Cet enfant est un cachottier.
Ma mere, toujours un peu inquiete a mon egard, ne protestait pas;
mais tante Dine, prete aux excuses, affirmait d'un ton doctoral que je
m'epanouirais sous peu. Loin d'etre reconnaissant a cette inebranlable
alliee, je me moquais de son fanatisme pour bien afficher la
superiorite de mon intelligence.
Le cirque et les elections troublerent donc la ville en meme temps.
Chaque jour, en traversant la place du Marche, je m'interessais au
lent dressage de la tente et a la pose des gradins, preliminaires des
representations. A la maison, on causait plus volontiers de l'avenir
du pays. Je n'etais pas aussi etranger qu'on pouvait le croire a la
politique. Mes opinions seulement etaient incertaines. Je savais que
certains jours, tels que le 4 septembre et le 16 mai, etaient des
anniversaires inegalement celebres, qu'on avait expulse tous les
religieux, sauf les notres, et qu'il y avait une expedition en Chine.
Cette expedition, par hasard, ne rencontrait que des critiques.
--Qu'on laisse donc ces gens-la tranquilles! reclamait grand-pere.
Et mon pere de hocher la tete:
--On oublie le passe. Un peuple vaincu ne doit pas disperser ses
forces.
Je n'ignorais pas qu'il avait pris part a la guerre, --pour celle-ci
on disait simplement: la guerre, --et je l'imaginais tres bien a la
tete d'une armee, tandis que grand-pere avait du toujours preferer son
violon et son telescope aux sabre, fusils, pistolets et autres engins
meurtriers. Le Cafe des Navigateurs avait beau mepriser tout entier la
gloire militaire, elle gardait encore pour moi son prestige.
Cependant, je ne comprenais pas tres bien comment le garde-francais et
le grenadier du salon avaient pu mourir l'un pour le Roi, l'autre pour
l'Empereur, et meriter neanmoins les memes eloges, alors que les
partisans de l'Empereur echangeaient des injures avec ceux du Roi.
--Pour les sold
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