de la peinture. Et voici
qu'il disait _papa_ comme le petit Jacquot, pas meme _pere_, comme mes
freres aines et moi. Amuse, je m'ecriai:
--Votre papa, grand-pere?
--Mais oui, l'homme des roses et des lois, le magistrat, le
pepinieriste.
Il le traitait sans aucun respect, et cette audace que j'estimais
inouie m'attirait bien plus qu'elle ne me deconcertait. L'irreverence
me semblait une chose prodigieuse qui suffisait a supprimer les rangs.
Avec elle, on se placait immediatement au-dessus des autres hommes,
avec elle on pouvait se moquer de tout impunement. Je me promis d'etre
irrespectueux pour montrer mon esprit.
Grand-pere me fournit quelques explications sur le mecontentement de
son _papa_:
--Eh! oui! Il pretendait qu'il fallait un roi dans la nation, comme un
jardinier dans un jardin. Et toute la mauvaise peinture du salon
pareillement.
Toute la famille, quoi! Grand-pere se mettait deliberement en dehors
des ancetres. Il pretendait faire bande a part, marcher tout seul,
hors des routes, comme dans nos promenades. A quoi bon etre une grande
personne, s'il faut encore dependre d'autrui, ne pas agir a sa guise,
ecouter les conseils et les remontrances? Il avait joliment bien fait
de prendre un fusil, puisque c'etait pour la liberte.
Et, de son fameux rire impertinent, il cassa l'opinion paternelle en
invoquant la nature:
--C'est absurde. Comme s'il fallait tailler les arbres et les plantes
! Regarde s'ils savent pousser tout seuls, et si ca n'enfonce pas tous
les jardins du monde.
Nous arrivions devant un bois de fayards, de trembles, d'autres
essences encore. Les petites feuilles de printemps, d'un vert tendre,
ne suffisaient pas a recouvrir l'essor des branches. Avant ma
convalescence, j'aurais donne tort a grand-pere. La transformation de
notre jardin, depuis que mon pere avait pris les renes du
gouvernement, l'arrangement des pelouses, le jet d'eau, le dessin des
parterres, la forme des bosquets, tout cet ordre harmonieux me
satisfaisait pleinement. Nos randonnees dans la campagne, peu a peu,
m'avaient ouvert les yeux a des beautes plus sauvages. Un fouillis de
fougeres et de ronces, l'enchevetrement des lianes aux buissons, des
rochers couronnes de bruyeres roses, et les retraites les plus perdues
avaient mes preferences. De sorte que j'approuvai cet argument sans
hesitation. Mais je decouvrais avec une sorte de stupeur qu'on pouvait
ne tenir aucun compte de l'avis de ses parents, et meme le
|