hes. Renversait-il un bibelot? il
ne s'excusait point:
--Un de moins, declarait-il simplement.
Ces menus et frivoles objets le contrariaient dans ses gestes, et il
les detestait. Tante Dine lui pardonnait jusqu'a ses degats, a cause
de son eloquence. Sa tete se trouvait si haut perchee, quand il
restait debout, que je la cherchais comme une cime. Assis, au
contraire, il disparaissait presque dans les fauteuils, et ses genoux
pointaient sur le meme plan que le menton: on l'eut dit replie en
trois morceaux de longueurs egales. Sa maigreur etait d'un ascete.
Quoi d'etonnant? Il se nourrissait de racines, et c'etait lui qui,
pendant la saison des cryptogames, vivait de bolets Satan. Il les
digerait, mais cela ne l'engraissait point. Cette alimentation
interessait grand-pere, qui le considerait comme un phenomene et pour
ses excentricites supportait ses opinions. Il ne l'appelait jamais que
: Nostradamus. Mon pere, bien au contraire, ne se souciait que
mediocrement d'un tel allie et ne prisait pas beaucoup ces assemblees
quasi mystiques.
--Notre brave abbe, assurait-il, ne regarde qu'en l'air. Il interroge
le ciel et ne sait plus ce qui se passe.
Qu'avait-il besoin de le savoir, puisqu'il connaissait l'avenir? Il
collectionnait, en effet, toutes les predictions qui se rapportaient a
la restauration monarchique et il en citait par coeur les passages
essentiels. A force de les avoir entendus, je les ai retenus assez
bien. La plus celebre de ces propheties etait celle de l'abbaye
d'Orval. Elle avait annonce la chute de Napoleon, le retour des
Bourbons et meme le regne de Louis-Philippe et la guerre. Son
authenticite etait ainsi garantie par tout un siecle. Comment, des
lors, aurait-elle menti dans cette apostrophe que notre abbe
Heurtevent susurrait d'une voix mouillee et qui arrachait des larmes
aux dames: _Venez, jeune prince, quittez l'ile de la captivite...
joignez le lion a la fleur blanche_. On parvenait subtilement a
expliquer l'ile de la captivite et le lion qui, a la premiere
investigation, demeuraient obscurs. Cependant, je n'etais pas presse
de voir le jeune prince obeir a cette injonction, a cause des
evenements qui devaient suivre, a savoir la conversion de
l'Angleterre, celle des juifs et, pour finir, l'Antechrist.
L'Antechrist m'epouvantait: lui aussi, comme la Mort de ma Bible,
devait monter un cheval pale.
--Oh! le jeune prince! ricanait grand-pere quand je lui racontais ces
merveilles, car il refu
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