avait avec nous, ne manquait pas de nous enseigner le respect et
l'amour pour la longue suite de rois qui avaient gouverne la France,
et que presque toute la mauvaise peinture du salon, sauf le grenadier
et les derniers portraits, avait servis. Il parlait de la puissance
des nations aussi souvent que grand-pere de leur bonheur. Le grand
Napoleon, dont tous les collegiens connaissent l'epopee, avait ruine
le pays, mais tout de meme, c'etait le plus grand genie des temps
modernes. Quant a Napoleon le petit, nous lui devions la defaite et
l'amoindrissement. Chose curieuse: ces evenements dont il etait
question a la maison ne me paraissaient avoir aucun lien avec ceux qui
figuraient dans mon manuel d'histoire. On ne reconnait pas dans les
plantes d'herbier celles qui poussent dans les champs. Or, quand mon
pere celebrait les rois, jamais grand-pere ne soulevait une objection.
Il n'approuvait ni ne desapprouvait. Et voici qu'il me declarait d'un
ton peremptoire que tous les rois etaient des tyrans. Pourquoi se
taisait-il a table quand il etait si sur de son opinion? Sans doute ne
voulait-il contrecarrer personne, afin de ne pas soulever de disputes,
et, des lors, je m'expliquai son effacement par sa delicatesse, ce qui
m'incitait a lui donner raison.
Il me reparla une autre fois de ces mysterieuses journees de Juin ou
l'on s'etait battu pour briser les fers du proletariat. Le proletariat
ne me representait pas quelque chose de bien net. Tem Bossette, Mimi
Pachoux et le Pendu etaient-ils des proletaires? Je les imaginai
charges de chaines et enfermes dans une cave aux tonneaux vides, parce
que, si les tonneaux avaient ete pleins, ils n'en seraient pas sortis
volontiers. Grand-pere s'elancait a leur secours. J'appris de sa
propre bouche qu'a Paris il avait pris part a l'insurrection et tenu
un fusil.
--Vous avez tire, grand-pere? demandai-je avec surprise et peut-etre
avec admiration, car je ne l'aurais pas cru capable d'un geste aussi
vif.
Il m'expliqua modestement qu'il n'en avait pas eu l'occasion.
Tante Dine m'avait montre, dans une armoire, le sabre qui avait servi
a mon pere pendant la guerre. Pourquoi ne m'avait-on jamais parle de
ce fusil? N'etait-ce pas aussi un trophee de famille? Et grand-pere
termina son recit un peu vague par cette reflexion familiere:
--C'est papa qui n'etait pas content.
Il me semblait si vieux, que je n'aurais jamais eu l'idee de songer a
ses parents qui n'etaient plus au salon que
|