meche barrait son front orageux. La chevelure qu'il
negligeait laissait echapper force pellicules des qu'il passait la
main. Il portait, malgre la saison, un veston de velours noir et il
nouait autour du col une enorme lavalliere violette. Les taches y
etaient innombrables. Toute la benzine de ma tante n'eut pas suffi au
nettoyage. Mais je me figurais qu'un artiste ne peut pas etre habille
comme tout le monde, sans quoi on eut ete expose a ne pas le
reconnaitre. Ce petit homme malpropre, qui paraissait paisible,
soufflait brusquement la tempete. Alors il trainait dans la boue, par
la peau du cou, jusqu'a ce qu'ils fussent barbouilles d'ordures,
d'abominables criminels tels que les nommes Ambroise Thomas et Gounod,
coupables d'avoir soustrait frauduleusement l'admiration des foules et
corrompu irremediablement le gout public. Il accusait aussi les
bourgeois de la ville, dont il enumerait les complots et les
trahisons. Je me rendais compte que le terme de bourgeois etait par
lui-meme fletrissant et je tremblais d'en etre un, et pareillement mon
pere. Seul, grand-pere, rebelle au classement, devait etre epargne.
Cependant Glus, de son metier, je l'ai su depuis, etait verificateur
des poids et mesures. La societe enfin recut a son tour un blame
severe; mais qu'elle le meritat, je ne l'ignorais plus a la suite de
mes promenades. En sorte que mes nouveaux amis du cafe, que
j'imaginais plus heureux meme que les paysans avec leurs fromages
blancs et leur creme de lait, etaient, en realite, des persecutes, des
martyrs.
Comment garder le moindre doute a cet egard devant l'injustice qui
frappait le second artiste, Merinos? Etait-ce son nom ou son surnom? A
la verite, je ne l'ai jamais su. Le surnom s'appliquait a miracle a
cette face de mouton, longue et pleine ensemble, rose comme les joues
d'un enfant qui tete, et couronnee de cheveux boucles. Il ressemblait
vaguement a Mariette notre cuisiniere, mais l'aspect de celle-ci etait
plus martial. Or, ces apparences plutot avenantes etaient mensongeres.
Merinos avait l'ame ravagee, et je saisis des allusions aux passions
extraordinaires qu'il avait traversees. Les passions, pour moi,
c'etait de montrer un visage lugubre et des yeux pleins de larmes.
C'est vrai qu'il etait luisant et jovial, et l'on ne pouvait decouvrir
la moindre trace d'humidite dans ses yeux a fleur de tete, tandis
qu'on en decouvrait sans peine sous les cils de Cassenave, de Glus et
de presque tous les autres. Ai
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