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ou a poursuivre, un verre d'eau a la main, Oui-oui l'ivrogne, et dont
la persistante piete presageait une vocation qu'elle affirmait petite
et qu'elle taisait maintenant, sauf peut-etre a ma mere.
Ainsi, l'avenir de la famille reclamait, pour s'organiser, bien des
reflexions et des decisions. Nous y restions, grand-pere et moi, fort
etrangers. Le portail franchi, nous ne regardions pas en arriere, ou
bien mon compagnon se moquait:
--Et pour toi, petit, qu'est-ce qui se mijote? Veux-tu toujours entrer
a l'ecole de l'adversite?
On m'avait beaucoup plaisante sur ce chapitre, ce qui ne me
divertissait guere. J'avais renonce a tout projet et ne songeais pas,
comme mes freres, a conquerir quelque situation brillante. Il me
suffisait de ces proprietes dont on jouit sans jamais s'en occuper, a
la mode de grand-pere, le lac, la foret, la montagne, sans compter les
etoiles pendant les belles nuits de juillet. Je ne sais meme si je ne
leur preferais pas les banquettes rouges du Cafe des Navigateurs, ou
j'avais l'impression d'etre un homme en assistant a l'echange de
propos exceptionnels touchant la peinture, la musique et la politique.
Cependant, je ne cessais pas de sentir peser sur moi le regard de ma
mere. Pour ne pas me l'avouer, je prenais des allures de liberte. Avec
les _Scenes de la vie des animaux_, j'improvisais des ressemblances
blessantes pour toutes les personnes de nos relations; je tournais en
ridicule les choses et les gens, et j'affectais meme, vis-a-vis de mes
freres et soeurs, un ton degage, destine a leur montrer que j'etais
fixe sur la vie et n'avais plus rien a apprendre. Par un bizarre
phenomene, a mesure que l'on m'initiait a la simplicite des moeurs
rurales et a la bienfaisance de la nature, je vois bien maintenant que
je devenais plus complique. Et toujours, a travers mes attitudes
nouvelles, comme s'il cherchait mon coeur, ce regard me suivait.
Maman nous fit peur un jour que nous la croisames. Elle se rendait a
l'eglise pour le salut du soir, et nous au cafe pour notre plaisir.
Elle quittait si rarement la maison que nous ne songions pas a la
rencontrer. Le nez au vent, nous reniflions d'avance l'odeur speciale
de tabac et d'anis qui nous attendait. Cette femme qui venait a nous,
si modeste, si grave qu'on ne songeait pas a la regarder, nous n'y
pretames pas attention. Nous fumes bien surpris quand elle nous aborda
et nous demanda:
--Ou allez-vous?
Que repondrait grand-pere? Nous avion
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