nsi mon observation enfantine demeurait-
elle en defaut. Merinos, comme Glus, avait longtemps vecu a Paris,
dans le quartier mysterieux de Montmartre, dont tous deux parlaient
comme de la terre promise. Il etait peintre de portraits, mais il
avait renonce a la peinture. Lui-meme en donnait des raisons probantes
:
--Vous comprenez: les gens d'aujourd'hui affichent des pretentions
saugrenues. Ils exigent de la ressemblance. Comme si la ressemblance
avait jamais compte pour un artiste!
--C'est evident, ratifia le choeur.
Aussitot je songeai a la collection d'ancetres qui remplissait le
salon et qui etait de la mauvaise peinture. Surement ils devaient etre
ressemblants.
Ainsi ecarte de la gloire par la sottise des bourgeois, Merinos ne
cessait pas pour autant de fournir des preuves de son genie. Il
portait toujours sur lui du papier teinte et un fusain. Tout en
causant et fumant, il ecrasait son fusain au hasard, puis rejoignait
au moyen de quelques traits les taches qu'il avait obtenues. Chose
curieuse, cela representait, quand on considerait ces chefs-d'oeuvre
avec patience et bienveillance, des visages de travers, esquisses a
peine, que le groupe qualifiait a l'envi de tourmentes, de pervers, de
troublants. Quelques amateurs de la ville --il y en avait tout de meme
--en achetaient a prix d'or, les declarant prodigieux, et une dame
enthousiaste et delirante visitait regulierement --personne ne
l'ignorait --l'atelier de Merinos qui etait, parait-il, un taudis,
pour y recueillir humblement les moindres ebauches, meme en se
trainant sur le plancher pour les chercher sous les meubles.
J'admirais de confiance, moi aussi.
Un jour que grand-pere, a la maison, celebrait cet artiste meconnu, il
s'attira de mon pere cette reponse:
--Oui, c'est la grande tromperie des oeuvres inachevees. Je n'aime
pour ma part ni les echafaudages, ni les ruines.
Qu'entendait-il par la? J'en connus simplement qu'il etait incapable
de gouter comme nous l'art du Cafe des Navigateurs.
Il convient de maintenir une certaine distance entre ces deux
incompris et Galurin qui n'etait qu'un ancien photographe dechu.
Celui-ci ne m'etait pas plus etranger que Cassenave. On l'employait
de-ci de-la, a domicile, pour les besognes supplementaires et,
notamment, comme extra pour servir a table. Comme il deplorait devant
nous cette servitude, grand-pere lui rappela que Jean-Jacques l'avait
subie. L'exemple de Jean-Jacques parut consoler sa fierte
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