au parrain, une
grenadine avec un flacon d'eau de seltz. Le rite observe fut plus
court et ne parvint pas a triompher de l'inattention generale. La
_verte_ rivale jouissait d'un credit particulier. Une decharge dans le
sirop qui s'ennuyait au fond du verre, et ma mixture monta, mousseuse,
bouillonnante, tourbillonnante, d'un rose tendre, puis d'un rose dore
apres que les gaz furent dissipes. Ce qui me toucha le plus, ce fut la
paille qu'on me remit pour boire a distance: il suffisait de pencher
un peu la tete et d'aspirer.
J'etais initie, rien qu'en aspirant, a une forme superieure de
l'existence. Parfaitement heureux, je desirais en faire part a mes
voisins. Ils sucaient des composes divers. La plupart montraient de
bonnes figures rubicondes et des yeux un peu humides. Ils etaient tous
parfaitement heureux. Pourquoi grand-pere m'enseignait-il que dans les
villes on ne l'etait pas? Il n'y avait, pour l'etre, qu'a entrer au
cafe.
Parmi ces tetes que j'examinais a loisir et avec une entiere
sympathie, j'en remarquai une que je crus reconnaitre. Elle
appartenait au voisin de grand-pere, celui-la meme qu'il avait
qualifie de sac a vin. Elle etait piquee de taches de rousseur, qui,
d'ailleurs, se distinguaient a peine de la peau injectee de sang. La
chevelure, la barbe, les poils, de la meme teinte rousse,
l'envahissaient de partout et menacaient jusqu'au nez qui, point
central du spectacle, rutilait, magnifique. Malgre moi, je pensai a la
gravure de ma Bible ou l'on voit le prophete Elie enleve sur un char
de feu dans la gloire du soleil couchant, mais je repoussai cette
comparaison comme inconvenante. Ou donc avais-je deja vu ce chef
incandescent? Mes souvenirs se fixerent peu a peu. Cela se passait
chez nous: du cabinet de consultation sortit un homme, non pas fier
et flambant comme celui du cafe, mais tout penaud, marmiteux,
deconfit. C'etait bien le meme, pourtant: ce tas de poils hirsutes,
ces taches de rousseur, je ne pouvais m'y tromper. Mon pere le
reconduisait et s'efforcait de le reconforter en lui tapant sur
l'epaule:
--Gardez votre argent, mon ami. Vous etes un peu de la maison. Vos
parents et les miens se tutoyaient. Mais il faut cesser de boire, a
tout prix. Si vous recommencez, vous etes perdu. Promettez-moi de ne
plus fourrer les pieds au cafe.
--Je vous le jure, docteur.
--Ne jurez pas, mais tenez bon.
--Si, si, je vous le jure. De ma vie, on ne me reverra dans les
cabarets.
Cependant il
|