du temple,
tandis que les soldats accourent qui vont la massacrer, rappela son
couvent a ma mere. Elle avait elle-meme pris part aux choeurs de cette
tragedie que Racine ecrivit pour les jeunes Saint-Cyriennes et que,
par une heureuse tradition, representaient jadis tous les pensionnats
de jeunes filles: les vers lui en revenaient en foule:
Tout l'univers est plein de sa magnificence: Qu'on l'adore, ce Dieu!
qu'on l'invoque a jamais...
Elle les recitait avec cette emotion qu'elle apportait aux choses
religieuses, et son accent me touchait plus directement que cet art
savant qui me depassait.
Un autre petit livre devait m'ouvrir a la poesie: c'etait un livre de
ballades. Un chevalier ravissait dans une foret, a Titania, reine des
elfes et des sylphes, la coupe du bonheur et l'emportait dans son
chateau au galop de son cheval. Une petite fille, au bord d'un
torrent, chantait la romance du nid de cygne cache parmi les roseaux
et revait d'un chevalier qui viendrait sur un cheval rouan. Le lord de
Burleigh epousait une bergere qui, dans le palais ou il l'emmenait,
languissait et mourait du regret de son village et de sa chaumiere.
Comme je partageais leurs desirs et leurs melancolies! Leurs peines de
coeur me versaient un mal delicieux que je ne savais pas approfondir.
Cependant, je commencais a discerner que nous avons en nous-meme une
source jaillissante de jouissances infiniment delicates.
Mon pere se mefiat-il de ces excitations comme de la musique de grand-
pere? Il m'apporta de courtes et claires biographies de grands hommes.
Ce n'est jamais trop tot pour se colleter avec elles. On prend
l'habitude de se comparer a des heros et l'on ne manque pas de se dire
: "J'ai le temps devant moi. Je veux, a leur age, les avoir
enfonces..." Peu a peu on recherche ceux dont les exploits furent
tardifs. J'avais lu, sur je ne sais plus lequel de ces personnages
exemplaires, qu'il etait entre a l'ecole de l'adversite. Et cette
ecole, que j'imaginais pour le moins aussi difficile que Polytechnique
ou Saint-Cyr, a quoi se destinait mon frere Bernard, je brulais de m'y
presenter. Je ne savais pas que c'est la seule qui n'exige aucun
examen, aucune demarche, surtout aucune recommandation. Je confiai mon
desir a ma mere. Elle sourit, ce qui me contraria, et m'assura que je
m'y presenterais en effet, niais qu'elle souhaitait que ce fut le plus
tard possible.
Ces lectures se traduisaient chez moi par un etat d'enthousiasme et de
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