ressemblaient. Je me
familiarisai vite avec ce procede: les deguisements etaient si
naturels! Voici l'hirondelle en facteur, le chien en laquais, le lapin
en petit employe subalterne, et voila le vautour en proprietaire, le
lion en vieux beau, le dindon en banquier, l'ane en academicien. Le
mille-pattes joue du piano et la demoiselle danse sur la corde pendant
que le criquet se fait une trompette de la corolle d'un liseron. Le
cameleon, depute, monte a la tribune pour affirmer qu'il est heureux
et fier d'etre comme toujours de l'avis de tout le monde. Le requin et
la scie revetent des blouses de chirurgiens et declarent honnetement:
"Nous allons inciser les muscles, trancher les os, en un mot guerir
les malades." Le loup, meurtrier d'une brebis, lit dans sa prison les
_Idylles_ de Mme Deshoulieres, tandis que la celebrite lui vient sous
la forme d'une complainte que vendent les camelots et qui se chante
sur l'air de _Fualdes_:
Ecoutez, Canards et Pies, Geais, Dindons, Corbeaux et Freux, Le recit
d'un crime affreux Et bien digne des Harpies. L'auteur de cet attentat
Fut un loup peu delicat.
L'ours se plait dans la solitude familiale: on le voit qui chauffe
son dernier-ne en le tenant par les pattes devant le feu; sa femme
etend du linge a secher, et un jeune ourson, dans un coin, retrousse
sa petite chemise pour prendre une precaution avant de s'aller coucher
; cependant on sonne a la porte, et la legende explique: "Nous vivons
entre nous, nous detestons les importuns et les visites." Un perroquet
qui agite les ailes sans reussir a voler represente l'illustre poete
Kacatogan. Et la merlette, avec la pie et la corneille, compose un
trio de femmes de lettres. J'ignorais ce que pouvait etre une femme de
lettres, mais le merle blanc, qui est poete comme le perroquet, me
l'apprit dans ses memoires: _Tandis que je composais mes poemes, elle
barbouillait des rames de papier. Je lui recitais mes vers a haute
voix, et cela ne la genait nullement pour ecrire pendant ce temps-la.
Elle pondait ses romans avec une facilite presque egale a la mienne,
choisissant toujours les sujets les plus dramatiques: des parricides,
des rapts, des meurtres, et meme jusqu'a des filouteries, ayant
toujours soin, en passant, d'attaquer le gouvernement et de precher
l'emancipation des Merlettes. En un mot, aucun effort ne coutait a son
esprit, aucun tour de force a sa pudeur; il ne lui arrivait jamais de
rayer une ligne, ni de faire un plan avant d
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