ncore. Depechez-vous d'avaler votre dessert, et vous irez jouer
au jardin.
Il avait parle de son ton habituel qui ragaillardissait et commandait
ensemble. C'etait si simple que ma mere, un instant, en fut toute
rechauffee et illuminee. Je le constatai en relevant la tete, mais ce
ne fut qu'un instant fugitif, comme ce retour de la lumiere sur les
cimes apres le coucher du soleil. Tout de suite la brume recouvrit le
visage maternel, et meme je surpris dans ses yeux deux gouttes d'eau
qui brillerent et disparurent sans tomber. Elle avait compris. Je
compris apres elle et par elle. La mysterieuse Cour avait juge contre
nous. Le proces, le terrible proces etait perdu. Nous etions tous
consternes sans connaitre au juste pourquoi, mais nous avions senti
passer sur nous le vent de la defaite. Mon pere, cependant, ne
manifestait aucune gene, aucune tristesse, et mon grand-pere, apres
son gruyere, trempait un biscuit dans son vin, ce qu'il aimait
particulierement a cause de ses dents qui etaient mauvaises. Il
semblait n'avoir prete aucune attention a cette histoire de
telegramme. L'assurance de l'un me stupefiait autant que le
detachement de l'autre. Ils atteignaient au meme calme par des voies
differentes. Quant a tante Dine, elle mordait avec rage dans une peche
qui n'etait pas mure et craquait.
Nous quittames la table pour gagner le jardin que la nuit envahissait
a pas de loup. Je tentai de demeurer en arriere, mais je fus entraine
par ma soeur Melanie; elle devinait que mes parents desiraient causer
hors de notre presence. Je ne pouvais prendre gout a aucun jeu et je
fis bientot bande a part. Mon imagination bondissait sur un monceau de
ruines. _Ils_ nous chassaient de ta maison, comme l'ange avait expulse
Adam et Eve du paradis terrestre. _Ils_ entraient chez nous comme dans
un moulin. _Ils_ se partageaient nos tresors, comme avaient fait les
Grecs avec les depouilles des Troyens. Qui, _ils_? Les _Ils_ de tante
Dine; je n'en savais pas davantage. Et dans cette catastrophe une
parole me revenait, incomprehensible, effroyable et cependant
obsedante: _Qu'on habite une maison ou une autre, qu'est-ce que ca
peut bien faire?_ Ce propos de mon grand-pere me revoltait et en meme
temps me stupefiait, m'attirait presque par son audace. Il me donnait
une sorte de vertige. Comment acceptait-on d'abandonner sa maison,
sans la defendre jusqu'a la limite de ses forces? Interieurement je
criais aux armes. Et pour realiser ce qui se pas
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