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--_Ils_ n'oseront pas, avait declare tante Dine.
Cependant, a quelques jours de la, je me trouvais dans la chambre de
ma mere quand elle recut la visite de sa couturiere, une demoiselle
entre deux ages, avec des cheveux acajou comme je n'en avais jamais vu
a personne. Ma mere s'excusa de la deranger pour peu de chose,
seulement une reparation et non pas la commande d'une robe neuve.
--Quand on a sept enfants, ajouta-t-elle gentiment, il faut etre
raisonnable. Et puis je ne suis plus assez jeune.
--Madame est toujours jeune et belle, protesta l'artiste.
Dans mon coin j'estimais cette protestation deplacee.
Ni l'age, ni la figure de ma mere n'appartenaient a cette dame aux
cheveux acajou, mais bien et dument a moi et a mes freres et soeurs.
Qu'elle fut jolie ou laide, jeune ou vieille, cela ne concernait que
nous.
--Alors, conclut ma mere, voici une toilette que vous pourriez
facilement arranger un peu; vous etes si adroite.
--Madame l'a deja beaucoup portee.
--Justement, on s'y attache.
Cette fois, je donnai raison a la couturiere qui prit un air pince
pour accepter cet ouvrage indigne d'elle. Incontestablement la robe
dont il s'agissait avait ete beaucoup portee.
Sur le moment je n'operai aucun rapprochement entre cet episode et
notre drame de famille. Ma mere serait toujours assez belle, et les
toilettes n'y changeraient rien. Mais les conciliabules se tenaient
generalement dans le salon octogone, ou l'on ne penetrait qu'en
traversant notre chambre a coucher. Il etait fort isole, et l'on
pouvait etre sur de n'y pas etre derange. Nous n'y entrions plus guere
que pour nos lecons de musique, depuis que la chapelle de l'armoire
avait ete desaffectee.
La j'avais perdu ma foi au miracle de Noel. Il est vrai que le rire
sec de mon grand-pere, toutes les fois qu'il etait question de la
descente du petit Jesus, m'avait prepare l'incredulite. Le matin de ce
jour de fete que tous les enfants appellent et attendent, nous
trouvions dans cette piece un sapin dont les branches pendaient sous
le poids des jouets et qu'illuminaient des bougies bleues et roses. Au
pied de l'arbre, un enfant de cire reposait sur la paille et tendait
vers nous ses petits bras. L'ane et le boeuf n'etaient pas oublies,
mais l'enfant etait plus gros qu'eux. Ce manque de proportions les
remettait a leur rang subalterne. Je supposais, sans en approfondir le
mystere, que ce sapin poussait tout seul, pendant la nuit, avec ses
fruits
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