efiance de tante Dine. Je les considerais, je les
flairais, mais pour rien au monde je n'en aurais goute. Je ne pensais
pas alors qu'on put rien trouver de bon a manger hors des magasins de
comestibles et, a la rigueur, de notre jardin.
Le regne de mon pere durait depuis trois bonnes annees, et meme plutot
quatre que trois, lorsqu'il advint dans mon existence d'enfant un
evenement considerable: je tombai malade. L'annee precedente, j'avais
fait ma premiere communion avec une si grande ferveur que ma mere
confiait a tante Dine:
--Va-t-il imiter Melanie et Etienne? Dieu nous demanderait-il un
troisieme enfant? Que sa volonte s'accomplisse!
Mon aventure fut a peu pres celle de _l'enfant blond qui s'esquiva des
bras de sa mere_. Au cours d'une promenade de ma division, j'avais
glisse dans un ruisseau dont il nous etait defendu de nous approcher,
et, plutot que d'encourir un reproche, bien que trempe jusqu'a la
poitrine, j'avais prefere me taire. Le lendemain ou le surlendemain,
la fievre se declara. Je sus plus tard que c'etait une bonne fluxion
de poitrine qui degenera en pleuresie. On crut mes jours en danger, et
mon mal devait etre l'occasion de la crise interieure qui faillit
desorienter ma jeunesse. Dans un demi-sommeil, j'entendais autour de
moi des chuchotements que j'interpretai sans retard:
--Est-ce que je vais mourir? demandai-je a ma mere et a tante Dine qui
se tenaient au bord de mon lit.
--Tais-toi, mechant! murmura tante Dine qui, aussitot, se moucha en
sanglotant et poussant des soupirs que sans doute elle croyait
etouffer.
Ma mere, de sa voix douce et persuasive, me dit en me touchant le
front, et ce contact me rafraichit:
--Ne t'inquiete pas nous sommes la.
Je savais tres bien ce que c'etait que la mort. Le portier du college
etant decede, une bizarre fantaisie de notre directeur nous avait
contraints a defiler, classe par classe, devant la biere ou le corps
etait depose, avant qu'on vissat le couvercle. Or, ce portier etait un
gros homme court, dont la depouille exigeait une boite cubique ou il
nous parut si cocasse et grimacant, que nous eclatames de rire. Il
nous fut impossible de reprimer ce rire scandaleux. Indigne, le
professeur qui conduisait notre pelerinage manque nous accabla des
plus durs reproches et ne craignit pas d'y joindre sans delai un
sermon sur nos fins dernieres. Il nous annonca, sans aucun menagement,
que nous mourrions tous, et peut-etre bientot, et que nos parents
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