sait en moi, je saisis
une des epees fabriquees par Tem Bossette, j'enfourchai mon echalas
favori et, malgre la brusque venue des tenebres qui eteignaient les
dernieres lueurs crepusculaires et que je redoutais beaucoup, je
montai au galop jusqu'au sommet du jardin, jusqu'au bois de
chataigniers, jusqu'a la breche. L'ombre de la nuit etait deja entree
par la, et apres elle toutes les ombres. Elles rampaient, elles
grimpaient aux arbres, elles se trainaient par les chemins, elles
remplissaient les bosquets. Il y en avait une armee. C'etaient les
courtilieres, les courtilieres geantes, c'etaient les ennemis de la
maison. J'essayai bien de distribuer a droite et a gauche de grands
coups d'estoc. Mais je ne rencontrais rien, et c'etait pire. Alors,
desesperement, je me sauvai. J'etais un vaincu.
Ce fut un soulagement pour moi d'entendre, en me rapprochant, la voix
de ma mere qui appelait:
--Francois! Francois!
Cet appel me sauva l'honneur; mon retour precipite cessait d'etre une
fuite.
Ma chambre a coucher, dont les vastes proportions m'inquietaient, mais
que je partageais heureusement avec Etienne et Bernard, etait voisine
de la chambre maternelle. Je fus longtemps avant de m'endormir. Sous
la porte de communication, j'apercevais une raie de lumiere. Cette
lumiere dut briller tres tard, et j'entendais le son alterne de deux
voix assourdies volontairement, celle de mon pere et celle de ma mere.
Le sort de la famille se debattait a cote de moi avec calme.
IV
LE TRAITE
Quand on est enfant, on s'imagine que les evenements vont se
precipiter les uns sur les autres comme les deux camps opposes dans
une partie de barres. Le lendemain, je m'attendais a des peripeties
extraordinaires qui se traduiraient en premier lieu par un conge.
Surement on ne travaillait pas lorsque la maison etait menacee. Je fus
etonne d'etre reveille a l'heure accoutumee, alors que je pensais
rattraper le retard de mon sommeil, et conduit au college tres
regulierement. Etienne, distrait et d'ailleurs occupe de ses prieres,
n'avait rien remarque. Mais Bernard, l'aine, me parut manquer de son
entrain habituel; sans doute il me jugea trop petit pour me faire
part de sa tristesse. Et nous n'echangeames en chemin aucune
confidence tous les trois.
Ce silence etait le commencement de l'oubli. Je me remis promptement
de l'alerte de la veille, et bientot, puisque nous continuions
d'habiter la maison, je crus a une retraite inopinee de nos ennemis
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