ais a la main la
tirelire ou l'on m'invitait a placer les petits sous que je recevais.
Je m'attendais a une ovation pour la magnanimite de mon sacrifice.
Sans un mot, je tendis l'objet a mon pere.
--Que veux-tu que j'en fasse? fut toute sa reponse.
Un peu interloque, mais devisage par tous les regards, je declarai en
rougissant:
--C'est pour la maison.
Cette fois, mon pere m'attira et me donna publiquement l'accolade avec
un ordre du jour reluisant:
--Ce petit sera notre joie.
Ainsi l'Empereur recompensait sur le champ de bataille ses marechaux:
on ne s'etonne plus de rien dans l'histoire quand on a vecu mon
enfance.
Comme il rentrait au son de la cloche, grand-pere fut informe le
dernier de ce qui s'etait passe par tante Dine qui le mit au courant
dans une harangue enflammee. Il ecouta avec interet, mais sans
passion. Sa serenite ne fut point troublee. Et quand le recit heroique
fut termine, il dodelina de la tete et se contenta de cette
approbation bien maigre:
--Allons, tant mieux!
Les choses s'arrangeaient sans qu'il s'en melat.
V
L'ABDICATION
Je compris les jours suivants, a toutes sortes de petits signes, sans
compter les propos de l'office, que la maison n'appartenait plus a
grand-pere, mais a mes parents, et qu'une simple formalite marquait
pour que ce traite fut definitif. Grand-pere n'en ayant plus la
charge, bien que cette charge ne l'incommodat guere, n'en desirait pas
garder l'honneur. J'entendis plus d'une fois mon pere luit tenir des
discours de ce genre:
--Je veux que rien ne soit change ici. Je veux que tout demeure comme
par le passe. Je ne veux vous oter que les soucis.
--Eh! eh! repliquait grand-pere avec son petit rire, tu as bien de la
chance de savoir tout ce que tu veux.
Et il lissat sa barbe blanche nonchalamment, comme si rien ne valait
la peine de rien. Cependant il mijotait un projet dont nous fumes
bientot avertis. Quand il avait une idee, on ne pouvait l'en faire
demordre, ni par supplications, ni par protestations. Il recevait tout
pele-mele, algarades de tante Dine, raisonnements brefs, nets, sans
replique de mon pere, prieres de ma mere, avec la meme tranquillite
d'humeur, et il n'ecoutait personne. A son air aimable et detache on
l'aurait cru persuade aisement, quand le mauvais rire apparaissait et
ruinait toutes les esperances.
Nous sumes un beau matin sa decision d'abandonner la piece a deux
fenetres qu'il occupait au coeur meme de la maison et
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