ailles du couteau. Quand c'etait grand-pere qui remplissait
l'office de panetier, j'avais bien remarque qu'il n'en faisait rien.
Ce fut l'un de mes premiers etonnements. Des le debut de la vie, je
compris l'importance des dissentiments religieux.
Grand-pere jouait de son violon quand il lui plaisait. Mais lui-meme
n'aimait pas a etre derange. Nous en fimes l'experience. Ma soeur
Melanie et mon frere Etienne, qui de leur premiere communion
conservaient une piete ardente et meme un peu agressive, avaient
edifie une petite chapelle dans une armoire de ce salon octogone que
nous appelions la salle de musique parce que, jadis, on y donnait des
concerts et qu'on y avait laisse un vieux piano a queue. Etienne et
Melanie, c'etait decide, quand ils seraient grands, evangeliseraient
les sauvages, comme Bernard l'aine serait officier et reprendrait
l'Alsace-Lorraine, et Louise la cadette, toujours genereuse,
epouserait un fabricant de champagne, afin que nous puissions boire
librement de ce vin dore et vivant ou nous n'avions jamais fait que
tremper nos levres les jours de fetes de famille. Ainsi, l'avenir
s'organisait a merveille, sauf mon sort personnel qui demeurait
incertain. Melanie tenait son nom de la petite bergere dauphinoise qui
jouissait alors d'une vogue considerable: on parlait a mots couverts
du secret de la Salette. Quelquefois je lui demandais si elle ne
demandait pas d'etre mangee par les anthropophages dont ma geographie
illustree m'avait revele l'existence. Loin de ralentir son zele, cette
affreuse perspective ne reussissait qu'a l'exalter. Etienne n'aspirait
pas moins violemment au martyre, bien qu'une mesaventure lui fut
arrivee au college: ses camarades, admirant sa devotion, avaient
compte qu'il accomplirait un miracle le jour de sa premiere communion
et, le miracle n'ayant pas eu lieu, ils l'en avaient un peu meprise.
Je n'ai jamais su quelle sorte de vepres ou de complies nous disions
devant l'armoire. Les ceremonies consistaient en cantiques vociferes
en choeur. J'etais, malgre mon jeune age, convie a ces manifestations
clericales. Ce jour-la nous deployions precisement une energie de
catechumenes. Melanie surtout lancait eperdument ses notes sur le
diapason le plus eleve. Sa piete etait en raison du bruit qu'elle
faisait. La salle de musique etait malheureusement proche la chambre
du grand-pere. Tout a coup, au beau milieu de notre ferveur, la porte
s'ouvrit et grand-pere apparut. Il ne s'occupait j
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