il prefere
ne pas se laver.
Et, devant nous, il tendit a Oui-oui un verre de vin rouge qui fut
englouti d'un trait, puis un second, puis un troisieme. Toute la
bouteille y passa. Grand-pere, s'il recevait cent fois son offrande,
serait copieusement abreuve dans le royaume celeste.
Grand-pere, quand il croisait des mendiants au moment de sa promenade
quotidienne, reclamait qu'on leur distribuat du pain et non pas de
l'argent.
--L'argent est immoral, declarait-il. Partageons nos miches avec ces
braves gens.
Je ne comprenais pas pourquoi l'argent etait immoral. Cependant on
retrouvait, emiette, devant la grille, au pied des colonnes de pierre,
tout le pain qu'on avait donne et que les pauvres avaient meprise.
Ce devait etre un samedi de juin. Il faisait grand jour encore, bien
qu'il fut plus de sept heures du soir quand je rentrai a la maison, et
au bord du jardin s'elevait une motte de foin que Tem Bossette avait
du faucher, en prenant son temps. A peine marmonnai-je un: _Bonjour
Oui-oui, bonjour la Zize_, sans meme attendre la reponse. Je ne
refermai pas le portail qu'ils avaient laisse ouvert, et je me glissai
dans le corridor qui conduisait a la cuisine, car je m'etais attarde,
au retour du college, jouer avec des camarades dans un petit chemin
qu'on appelait _derriere les murs_, parce qu'il longeait des
proprietes fermees comme des forteresses. Je ne blamais pas cette
farouche facon de se clore, bien que j'esse prefere ces barrieres ou
ces haies qui permettent de satisfaire la curiosite et n'arretent pas
brusquement le regard; mais grand-pere, quand il passait par la, ne
cachait pas son degout:
--La terre est a tout le monde, et on la ligote comme si elle voulait
se sauver!
Il en parlait comme d'une personne vivante. Hors de chez nous,
j'aurais bien admis que rien ne fut clos. La terre ne m'appartenait-
elle pas?
_Derriere les murs_, nous organisions de grandes parties de billes au
beau milieu de la route, certains de n'etre pas deranges. Si quelque
char s'y engageait, le conducteur, arrete par nos protestations,
attendait patiemment que nous eussions fini, et parfois meme
s'interessait aux peripeties du jeu, apres quoi il continuait son
chemin. Personne, alors, n'etait presse. Aujourd'hui, c'est le
boulevard de la Constitution, et il faut s'y garer des automobiles. Je
ne sais ou s'en vont jouer les petits enfants d'aujourd'hui.
Ma hate ne provenait pas de la crainte d'etre gronde pour mon retar
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