eposoir le plus voisin gisait deja comme une carcasse
de feu d'artifice apres qu'on l'a tire. Il n'en restait que les
echafaudages. En hate on avait remise la croix de fleurs, la mousse,
les candelabres, par crainte de la pluie, car le ciel se couvrait
brusquement, et aussi pour s'en aller diner. Mon enthousiasme etait
pareillement tombe sous une parole de doute.
A la fete de l'Epiphanie, chacun doit imiter les gestes du roi
d'occasion que la feve a designe. S'il boit, on crie: "Le roi boit! "
et l'on se precipite sur son verre. Et si le roi se met a rire, tout
le monde rit aux eclats. Un roi ne doit-il pas savoir quand il faut
rire et quand il faut garder son serieux?
III
LES ENNEMIS
Ce soir-la, c'etait un samedi...
Je ne saurais fixer la date exacte, mais ce ne pouvait etre qu'un
samedi, puisque je rencontrai devant le portail, en rentrant, Oui-oui
qui hochait la tete et la Zize Million qui verifiait sur sa paume
ouverte le chiffre de sa rente.
Le samedi etait le jour des pauvres. D'habitude nous regardions,
l'abri d'une vitre, leur defile, car tante Dine, qui tenait pour la
difference des classes, nous mettait prudemment a l'ecart de leur
vermineux contact. La Zize ou la Louise etait une folle a qui l'on
versait regulierement chaque semaine un modeste subside de cinquante
centimes qu'elle appelait sa rente. Sa folie ne diminuait pas ses
exigences: une nouvelle servante, mal informee, lui ayant fait grief
en ne lui octroyant que deux sous, recut dans la figure cette monnaie
insuffisante. La tete lui avait tourne en attendant un gros lot. Elle
ne parlait que de millions et le nom lui en etait reste.
Quant a Oui-oui, il devait ce sobriquet a son chef branlant dont il
soutenait le poids assez mal et qui remuait sans cesse de haut en bas
a la facon de ces animaux articules qui sont l'ornement des bazars et
dont un marchand astucieux vante le mouvement pour augmenter leur
prix. Nous avions encouru sa colere, ma soeur Melanie et moi, dans une
circonstance memorable. Melanie, ayant lu dans l'Evangile qu'un verre
d'eau donne a un pauvre nous serait rendu au centuple, s'avisa d'en
offrir un a Oui-oui. Elle voulut meme, dans sa bonte, que je
participasse a son aumone. Je portais la carafe, pret a proposer une
seconde tournee. Mais il considera notre present comme une injure.
Grand-pere, quand il connut cette malheureuse tentative, acheva notre
deroute:
--Offrir de l'eau a cet ivrogne! Plutot que d'en toucher,
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