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prit de solidarite, eviterent de signaler mon arrivee, de sorte que je pus avaler ma soupe sans etre remarque. D'ordinaire, ma mere venait dans la salle a manger avant nous, pour servir le potage. La loquacite de Philomene avait empeche cette operation preliminaire, et j'en beneficiai. Mes parents, d'ailleurs, ne prenaient pas la moindre attention a ma personne: j'en pouvais conclure qu'il se passait quelque chose. Je mis les bouchees doubles et, mon assiette vide, je jetai sur l'assistance un regard circulaire. A la place d'honneur, le roi regnant, mon grand-pere, se penchait sur la nappe afin de ne pas laisser tomber de la soupe sur sa barbe, et cette precaution l'absorbait visiblement tout entier. Je n'apprendrais rien de lui, et pas davantage de mon pere qui, de l'un des angles, commandait la table et dont le regard me fit baisser les yeux, car j'y lus distinctement la connaissance de ma faute. Apres avoir interroge l'un ou l'autre de nous sur l'emploi de sa journee, il s'efforca de donner a la conversation un tour general. Mais il parlait presque seul. Son calme, sa bonne humeur meme acheverent de me rendre la confiance que deux ou trois cuillerees bien chaudes avaient deja commence de me communiquer. Tante Dine, qui ne pouvait rester inactive pendant les intervalles du service, s'occupait a l'avance de battre la salade dont elle conservait la specialite, bien qu'il eut ete souvent question de lui retirer cet office a cause du vinaigre qu'elle repandait sans menagement. Tout en fatiguant les feuilles vertes, elle baragouinait de vagues exorcismes contre les mauvais sorts. Ma soeur Louise taquinait Etienne --le petit cure --qui etait distrait et a qui on aurait pu repasser indefiniment le meme plat. Cependant Bernard et Melanie, les deux aines, levaient souvent les yeux dans la meme direction que je suivis. Ils regardaient ma mere, et ma mere regardait mon pere. De lui, a cette heure, semblait dependre notre securite. On avait allume la suspension, mais il ne faisait pas encore nuit au dehors. Seulement les arbres paraissaient se rapprocher, epaissir leurs branches, verser une ombre plus profonde. Par les fenetres ouvertes, le jardin nous envoyait, pele-mele, l'air frais, une odeur de fleurs et des phalenes qui, attirees par la lumiere, s'en venaient tourner dans l'abat-jour de la lampe. Je m'interessais a leur course, par instants, plus attentivement qu'a l'expression trop deconcertante des visages. Le repas
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