re sa suavite et la
limpidite des yeux qui ne pouvaient croire au mal. Quelle force
inconnue recelait donc cette douceur? Mon grand-pere, qui se gardait
de toute influence rien que par son petit rire si vexant, et qui meme
devant son fils ne perdait pas ce moyen de defense, l'abandonnait
habituellement devant ma mere. Et mon pere, dont l'autorite semblait
inebranlable et infaillible, se tournait vers elle comme s'il lui
reconnaissait une puissance mysterieuse.
Cette puissance, je le sais maintenant, c'etait Dieu qui habitait en
elle, soit qu'elle fut allee Le chercher a la premiere messe avant que
personne fut reveille, soit qu'elle Lui offrit ses travaux quotidiens
dans la maison...
Mes freres et soeurs et moi, nous composions le peuple. Dans tout
royaume il faut un peuple. Il est vrai que, dans la plupart des
maisons d'aujourd'hui, on cherche ou le peuple a passe. Le roi et la
reine, tristes comme des saules pleureurs, se regardent vieillir avec
ennui. Ils n'ont rien a gouverner et ils n'emporteront pas leur
couronne. Chez nous, le peuple etait nombreux et bruyant. Si vous
savez compter, vous n'ignorez deja plus que nous etions sept, de
Melanie qui me devancait de sept ans jusqu'a Jacques le dernier qui me
suivait a six ans de distance.
Tout ce bataillon, avant d'etre conduit a la manoeuvre, recevait une
premiere inspection de tante Dine qui etait preposee aux revues de
detail.
Elle etait d'une activite que les annees ne ralentissaient pas et que
les servantes, sauf Mariette, exploitaient sans vergogne toujours
allant et venant, de la cave au galetas, par les escaliers, car elle
oubliait la moitie des travaux qu'elle comptait entreprendre, ou
suspendait brusquement ceux qu'elle avait entrepris, commencant un
nettoyage, l'abandonnant pour chasser la poussiere d'un meuble, menant
la guerre contre les toiles d'araignees au moyen d'une tete de loup,
sorte de brosse fixee au bout d'une perche, ou bondissant sur l'un de
nous qui avait crie. Elle nous a berces, laves, habilles, pouponnes,
pomponnes, gardes, amuses, occupes, soignes, caresses tous les sept,
et meme un huitieme qui est mort sans que je l'aie connu.
Encore conviendrait-il d'ajouter a ce chiffre imposant mon grand-pere
a qui elle epargnait tout souci. Il n'etait pas exigeant pourvu qu'il
eut immediatement sous la main ce qu'il desirait, il ne reclamait rien
a personne. Et il fallait respecter le desordre de sa chambre qu'il
entretenait scrupuleusemen
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