tout changeait comme par enchantement. Tem
Bossette enfoncait sa pioche avec une vigueur insoupconnee; Mimi
Pachoux, qu'on avait cesse de voir, surgissait comme un diable d'une
botte; le Pendu se mesurait avec un fut important; Mariette activait
son feu, nous rentrions dans le rang, et grand-pere, je ne sais
pourquoi, s'en allait. Y avait-il une question a trancher, un ennui a
supporter, une menace a craindre? Quand on avait annonce: Il est la,
c'etait fini, toute inquietude se dissipait aussitot, chacun respirait
comme apres une victoire. Tante Dine surtout avait une maniere de
proclamer: _Il est la!_ qui eut mis en fuite l'agresseur le plus
resolu. Cela signifiait: _Attendez donc vous allez voir ce qui va se
passer. Ce ne sera pas long! En un instant, justice sera rendue!_
Avertis de cette presence, nous nous sentions une force invincible.
C'etait une impression de securite, de protection, de paix armee. Et
c'etait aussi une impression de commandement. Chacun occupait son
poste. Mais grand-pere n'aimait ni a commander ni a etre commande.
L'ombre, c'est, derriere le volet a demi clos de sa fenetre, celle de
ma mere qui n'a pas tout son monde rassemble autour d'elle. Elle
attend mon pere, ou notre retour du college. Quelqu'un est absent.
Elle craint pour lui. Ou bien le temps est orageux, elle interroge le
ciel pour savoir s'il faut allumer la chandelle benite. Une autre paix
emanait d'elle, une paix, comment dirais-je? qui s'etendait au dela
des choses de la vie, qu'on recevait en dedans, qui calmait les nerfs
et les coeurs, une paix de priere et d'amour. Cette ombre, que je
guettais chaque fois que je rentrais, que je guette encore quand meme
je sais bien qu'elle n'est plus la, qu'elle est ailleurs, c'etait
l'ame de la maison qui transparaissait comme la pensee sur un visage.
Ainsi nous etions gardes.
Au dela de la maison il y avait la ville, en contre-bas comme il
convient, et plus loin un grand lac et des montagnes, et plus loin
encore, sans doute, le reste du monde. Ce n'etaient que des annexes.
II
LA DYNASTIE
En ce temps-la regnait mon grand-pere.
Avant lui une longue suite d'ancetres avait du exercer le pouvoir, a
en juger par les portraits qu'on avait rassembles au salon. De ces
portraits la plupart avaient beaucoup noirci, de sorte que, si l'on ne
laissait pas la lumiere penetrer a flots, il devenait assez difficile
de deviner le contenu des cadres. L'un des plus abimes etait celui qui
m'etonna
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