it davantage. On ne voyait guere que le visage et la main, un
visage et une main de femme or, on m'avait appris son role important
aux armees, et je me demandais comment un homme si jeune et si joli
avant tant pu se battre. La dame a la rose me retenait aussi: j'avais
beau tourner autour d'elle, je recevais de tous les cotes sa fleur et
son sourire. Je passe sur d'autres bustes plus rebarbatifs, engonces
dans de hauts cols et des foulards comme on en voit aux gens enrhumes,
et j'arrive aux deux tableaux qui occupaient la place d'honneur a
droite et a gauche de la cheminee: l'un portait l'habit bleu a galon
d'argent, le gilet ecarlate, la culotte blanche et le tricorne noir
des gardes-francaises, l'autre le bonnet a poil et la capote bleue
boutons dores et passepoils rouges aux manches et au col de grenadier
de la vieille garde. Le soldat du roi et le soldat de l'empereur se
faisaient pendant. Tous deux avaient bien servi la France, a en croire
leurs decorations. Mon pere, avec orgueil, m'avait raconte leurs
exploits et revele leur grade. Je ne les regardais pas sans une
certaine crainte reverencielle. Ils n'etaient pas beaux, ayant plus
d'os que de chair et des traits tailles a la diable. Mais je n'aurais
pas ose les declarer vilains. Leurs yeux se fixaient sur moi
lourdement et m'inspiraient de la gene. Ils me reprochaient de n'avoir
pas encore remporte de victoires extraordinaires comme le grenadier a
la Moskova, ou tout au moins subi d'heroiques defaites comme le garde-
francaise a Malplaquet. Longtemps, je n'ai su que ces deux noms de
batailles. Et je rougissais des sabres de bois de Tem Bossette et des
echalas que j'enfourchais. Je comprenais que mes chevauchees dans le
jardin, ce n'etait pas serieux, ce n'etait pas vrai. Ces deux
portraits redoutables, tantot m'exaltaient d'orgueil et tantot
m'accablaient de leur importance. Un jour que je les considerais sans
plaisir, mon grand-pere s'approcha de moi et me jeta negligemment avec
son petit rire sec et sa moue la plus impertinente:
--Peuh! ce n'est que de la mauvaise peinture.
Il est dangereux d'apprendre trop tot l'esthetique aux enfants. Je me
rejouis que ce fut de la mauvaise peinture. Du coup, le soldat du roi
avec son tricorne et le soldat de l'Empire sous son bonnet a poil
perdirent tout prestige. Leur biographie ne me fut plus rien. J'etais
libere de cette servitude a quoi oblige l'admiration. Je reprenais
l'avantage sur ce passe qui etait mal peint et je
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