ers, dont patissaient quelquefois de paisibles choux et
d'inoffensives betteraves que je taillais en pieces.
Mes armes m'etaient fournies par un des singuliers ouvriers qu'on
employait au jardin ou a la vigne. Il y en avait jusqu'a trois qui
travaillaient isolement, chacun dans son coin, avec des attributions
speciales, mais avec une besogne indeterminee. On evitait de les
reunir, car ils se detestaient. Ou les avait-on recrutes?
Leur choix provenait sans doute de la memorable incurie de mon grand-
pere qui laissait tout le monde tranquille, et la terre pareillement,
ou de la bonte de ma mere bien capable d'avoir repeche ces tristes
debris.
Le premier en date, le plus ancien dans mon souvenir, mon armurier par
surcroit, s'appelait Tem Bossette. Nom et prenom etaient, je pense,
des surnoms. L'origine n'en est pas malaisee a decouvrir. Tem devait
venir d'Anthelme qui est un saint venere dans ma province. Quant au
sobriquet de Bossette, j'ai cru longtemps que c'etait une allusion
indelicate a la voute qu'il portait sur le dos a force de se pencher
sur sa pioche. Mais j'ai trouve une etymologie plus conforme a sa
paresse et a son caractere, et je la soumets humblement MM. les
philologues qui sauront lui consacrer, selon leur habitude, plusieurs
volumes in-folio. Chez nous, la bosse a plus d'un sens: elle designe
notamment la futaille ou l'on depose la vendange pour la ramener
commodement des vignobles, et je vois encore l'effarement peint sur le
visage d'un ami a qui je faisais les honneurs de ma ville natale et
qui lisait une affiche, une simple petite affiche composee de ces
quelques mots: _A vendre une bosse ovale_. "Heureux pays, me dit-il,
ou les bossus font commerce de leur gibbosite!" Et il se crut malin en
ajoutant: "Mais trouvent-ils acquereurs? " Je lui expliquai sa
meprise. Or notre Tem etait un ivrogne celebre. Notre cave surtout le
savait. _Bossette, petite bosse_: lui aussi devait contenir la
vendange. Et, meme, a la fin de sa vie, aurait-on pu supprimer le
diminutif.
Il me fabriquait des sabres avec les echalas de la vigne. En
recompense je lui portais des bouteilles supplementaires que
j'obtenais de tante Dine, plus specialement chargee de l'office, en
lui representant la splendeur de mon armement. On se plaignait bien de
temps a autre que les ceps fussent depourvus de tuteurs. Les sarments
sans attache se resignaient a ramper. Ils pompaient toute l'humidite
du sol. Mais grand-pere, indifferent, ne
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