m'attend."
George Sand recevait ces lettres enflammees des mains de Pagello et les
lisait avec lui; car elle habitait a San-Fantino un petit logement,
separe seulement par une salle de l'appartement du medecin. Elle repond
a Alfred de Musset, le 15 avril, sur le meme ton passionne, avec cette
nuance de sollicitude maternelle qui donne a l'amour un caractere
facheux et equivoque: "Que j'aie ete ta maitresse ou ta mere, peu
importe, que je t'aie inspire de l'amour ou de l'amitie, que j'aie ete
heureuse ou malheureuse avec toi, tout cela ne change rien a l'etat de
mon ame a present. Je sais que je t'aime, et c'est tout. Veiller sur
toi, te preserver de tout mal, de toute contrariete, t'entourer de
distractions et de plaisirs, voila le besoin et le regret que je sens
depuis que je t'ai perdu. Pourquoi cette tache si douce, et que j'aurais
remplie avec tant de joie, est-elle devenue peu a peu si amere et puis
tout a coup impossible? Quelle fatalite a change en poison les remedes
que je t'offrais? Pourquoi, moi qui aurais donne tout mon sang pour te
donner une nuit de repos et de calme, suis-je devenue pour toi un
tourment, un fleau, un spectre? Quand ces affreux souvenirs m'assiegent
(et a quelle heure me laissent-ils en paix?) je deviens presque folle.
Je couvre mon oreiller de mes larmes, j'entends ta voix m'appeler dans
le silence de la nuit. Qu'est-ce qui m'appellera a present? qui est-ce
qui aura besoin de mes veilles? a quoi emploierai-je la force que j'ai
amassee pour toi, et qui maintenant se tourne contre moi-meme? Oh! mon
enfant! mon enfant! que j'ai besoin de ta tendresse et de ton pardon!"
Elle l'invite alors a quelque union surnaturelle de l'intelligence et du
coeur; elle lui propose de se guerir mutuellement par une affection
sainte. "Nos caracteres, dit-elle, plus apres, plus violents que ceux des
autres, nous empechaient d'accepter la vie des amants ordinaires. Mais
nous sommes nes pour nous connaitre et pour nous aimer, sois-en sur. Sans
ta jeunesse et la faiblesse que tes larmes m'ont causee un matin, nous
serions restes frere et soeur. Nous savions que cela nous convenait, nous
nous etions predit les maux qui nous sont arrives. Eh bien! qu'importe,
apres tout? Nous avons passe par un rude sentier, mais nous sommes arrives
a la hauteur ou nous devions nous reposer ensemble." Et elle conclut qu'en
renoncant l'un a l'autre ils se lient pour l'eternite. O paradoxe! o
chimere!
Tout a coup George Sand chang
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