trouvait menacee de les perdre tous les
deux a la fois.
Celui qui n'avait pas voulu d'elle, condamne par un pouvoir redoutable
entre tous: l'Inquisition. Celui qu'elle avait accepte, ne pouvant avoir
l'autre, se devouant inutilement au salut du premier. Tout l'univers
pour elle se resumait en ces deux hommes. Eux morts, que ferait-elle
dans la vie?
Le Chico s'ignorait lui-meme, comment aurait-elle pu le deviner? Il
avait fallu pour cela l'oeil penetrant de Pardaillan.
Le petit homme ne s'etait pas rendu compte de la froide intrepidite avec
laquelle il avait envisage le sort qui pouvait etre le sien s'il se
lancait dans l'aventure qu'il meditait.
Comme il n'etait pas sot, il raisonnait avec une logique serree que lui
eussent enviee bien des hommes reputes habiles. D'ailleurs, dans cette
existence de solitaire qu'il menait depuis de longues annees, il avait
contracte l'habitude de reflechir longtemps et de ne parler et d'agir
qu'a bon escient.
Pour lui, la question etait tres simple: il l'avait assez meditee...
Il allait se mettre en lutte contre le pouvoir le plus formidable qui
existat. Evidemment, lui, pauvre, solitaire, faible, d'intelligence
mediocre--c'est lui qui parle--ne disposant d'aucune aide, d'aucune
ressource, il serait infailliblement battu. Or, la partie perdue pour
lui, c'etait sa tete qui tombait. Tiens! ce n'etait pas difficile a
comprendre, cela!
Tout se resumait donc a ceci: fallait-il risquer sa tete pour une chance
infime? Oui ou non? Il avait decide que ce serait oui.
Si le Chico n'avait pas conscience de son heroisme, Juana, en revanche,
s'en rendait fort bien compte. Il se revelait a elle sous un jour qui
lui etait completement meconnu.
Le jouet que, tyran au petit pied, elle avait accoutume de tourner au
gre de son humeur, avait disparu. Disparu aussi l'enfant qu'elle se
plaisait a couvrir de sa protection. C'etait un vrai homme qui pouvait
devenir son maitre.
Elle ne doutait pas qu'il ne reussit a sauver une fois encore celui
qu'il appelait son grand ami. Et, plus le nain grandissait dans son
esprit, plus elle sentait l'apprehension l'envahir. Elle qui, jusqu'a
ce jour, s'etait crue bien superieure a lui, elle qui l'avait toujours
domine, elle courbait la tete, et, dans une humilite sincere, etreinte
par les affres du doute, elle se demandait si elle etait digne de lui.
C'etait elle qui, maintenant, tremblait et rougissait; elle, dont les
yeux suppliants semblaient mendie
|