d'Espinosa prononca son glacial: "Passons!" Une fois
encore il ajouta que le crime du miserable qui ralait et hurlait tour a
tour n'etait rien, compare au crime de Pardaillan.
Et l'affolante, l'hallucinante promenade se poursuivit a travers
l'interminable galerie pleine maintenant des rugissements, des plaintes,
des sanglots, des supplications, des menaces et des blasphemes des
malheureux que le delire sanguinaire de l'inquisiteur soumettait a des
supplices que nous avons peine a concevoir aujourd'hui.
Apres l'homme tenaille vivant, ce fut l'homme a qui l'on brisa les
membres a coups de masse de fer, puis celui a qui l'on creva les yeux,
et celui a qui l'on arracha la langue, en passant par le supplice du
chevalet, celui de l'eau, sans compter celui a qui l'on enferma les
mains dans des peaux humides contenant du sel, qu'on faisait secher en
les exposant a la flamme d'un rechaud.
La porte d'une de ces cellules ne s'ouvrit pas. Un moine poussa un
guichet et Pardaillan vit une demi-douzaine de chats qu'on avait rendus
hydrophobes en les privant de boisson, se ruer sur un homme entierement
nu et le mettre en pieces a coups de leurs griffes acerees.
Tout ce que l'imagination la plus dereglee peut concevoir de supplices
infames, de raffinements de torture inouis, passa la, sous ses yeux, et,
de toutes ces portes demeurees ouvertes, jaillissaient des gemissements
qui eussent attendri un tigre.
Et, a chaque porte, d'Espinosa repetait son immuable: "Passons!"
toujours suivi de la comparaison du crime du malheureux qui agonisait et
qui n'etait toujours rien, compare au crime de Pardaillan.
Enfin, la fin de la fantastique galerie arriva. Pardaillan se crut
delivre de l'effrayant cauchemar qu'il vivait depuis une heure. Malgre
ses effort, malgre son stoicisme, il sentait sa raison chanceler. Et la
pitie qu'il ressentait pour ces malheureuses victimes, dont il ignorait
le crime, etait telle qu'il oubliait que cette effrayante serie de
supplices sans nom qu'on faisait defiler sous ses yeux n'avait qu'un
but: lui rappeler que tout ce qu'il voyait la d'horrible et d'affreux
n'etait rien, compare a ce qui l'attendait, lui.
XV
LE REPAS DE TANTALE
A l'extremite de l'horrible galerie, il y avait un escalier de quelques
marches, et, sur la droite, un mur, tres haut, continuait cette galerie.
L'escalier aboutissait a un jardinet. Le mur separait ce jardinet du
grand jardin.
En se retrouvant au grand air, sous la ch
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