t, je compris
aussi comment la Seine, genee tantot a droite, tantot a gauche par les
collines, avait ete obligee de s'inflechir de cote et d'autre pour
chercher un terrain bas dans lequel elle avait creuse son lit. Et sans
que les jolis mots de cosmographie, d'orographie, d'hydrographie
eussent ete prononces, j'eus une idee intelligente des sciences qu'ils
designent.
Plus tard, ce fut le cours lui-meme de la Seine que nous suivimes
jusqu'au Havre. A Conflans, je vis ce qu'etait un confluent et je pris
en meme temps une lecon d'etymologie; a Pont-de-l'Arche, j'appris ce que
c'est que le flux et le reflux; a Rouen, je visitai des filatures de
coton et des fabriques d'indiennes; au Havre, du bout de la jetee, a
l'endroit meme ou cette Seine se perd dans la mer, je vis entrer les
navires qui apportaient ce coton brut qu'ils avaient ete chercher a la
Nouvelle-Orleans ou a Charlestown, et je vis sortir ceux qui portaient
ce coton travaille aux peuples sauvages de la cote d'Afrique.
Ce qu'il fit pour la geographie, il le fit pour tout; et quand, a
quatorze ans, je commencai a suivre les classes du college Saint-Louis,
il ne m'abandonna pas. En sortant apres chaque classe, je le trouvais
devant la porte, m'attendant patiemment.
Quel contraste, n'est-ce pas, entre cette education paternelle, si
douce, si attentive, et celle que le hasard, a la main rude, donna au
general Martory?
Je ne sais si elle fera de moi un general comme elle en a fait un du
contrebandier des Pyrenees, mais ce qu'elle a fait jusqu'a present, c'a
a ete de me penetrer pour mon pere d'une reconnaissance profonde, d'une
ardente amitie.
Aussi, dans ce long trajet de Marseille, me suis-je plus d'une fois
fache contre la pesanteur de la diligence, et, a partir de Chalon,
contre la lenteur du chemin de fer.
Pauvre pere!
XVII
Nous entrames dans la gare du chemin de fer de Lyon a dix heures
vingt-cinq minutes du soir; a onze heures j'etais rue de l'Universite.
L'appartement de mon pere donne sur la rue. Des que je pus apercevoir la
maison, je regardai les fenetres. Toutes les persiennes etaient fermees
et sombres. Nulle part je ne vis de lumiere. Cela m'effraya, car mon
pere a toujours eu l'habitude de veiller tard dans la nuit.
Je descendis vivement de voiture.
Sous la porte cochere je me trouvai nez a nez avec Felix, le valet de
chambre de mon pere.
--Mon pere?
--Il n'est pas plus mal; il vous attend; et si je suis venu au-devant
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