s la cour du quartier, et
l'appel commenca:
"Present.... Present.... Present...."
Le mot etait lance sur des tons tres differents, tantot en fausset,
tantot en faux-bourdon, a intervalles inegaux. Parfois l'appele etait
tout proche, plus souvent il etait perdu dans la foule ou a l'autre
extremite de la cour. Les noms, peu familiers aux officiers, n'etaient
pas toujours intelligiblement prononces et plus d'un avait besoin d'etre
repete pour parvenir a son adresse. Il fallait perdre plusieurs minutes
pour ajouter un rang a la double file qui, a la longue, s'allongeait
cependant, s'allongeait comme un ver annele. Mais le groupe compact des
non-appeles paraissait a peine entame, et midi approchait. La lassitude
etait generale, pour un resultat illusoire. Quel avantage de denombrer
cette foule, puisqu'il etait impossible de la sectionner, faute de
savoir a qui confier la surveillance et la direction de chaque peloton!
Le commandant perdit patience et courage. Il fit sonner la soupe, bien
avant d'avoir acheve la lecture du controle general. Cette tentative
avortee tourna contre la discipline. Ceux qui redoutaient encore une
surveillance relative s'estimerent des lors surs de l'impunite, et
beaucoup en profiterent pour deserter a peu pres completement la
caserne.
Inutile de dire que je n'etais pas du nombre. Avec le meme serieux
qu'un bambin montant la garde arme d'un fusil de bois, j'etais d'une
exactitude scrupuleuse a remplir des devoirs fort mal definis. A l'heure
ou le quartier etait regulierement ouvert, j'allais voir un instant ma
famille; mais, pour rien au monde, je n'eusse decouche, et ce n'etait
pas la bonte du lit qui m'attirait: pour mieux dire, je n'en avais ni de
bon ni de mauvais. Notre caserne ressemblait a une halle ouverte la
nuit aux vagabonds. L'espace ne nous manquait pas. Nous avions la libre
disposition de toutes les chambrees laissees vides par le regiment; mais
deux cents ou trois cents fournitures de lit y etaient clairsemees: il
nous en manquait donc plus de mille. De distance en distance, le long
des murs, matelas et paillasses avaient ete juxtaposes par terre, afin
d'accroitre la surface de couchage. Quand, la retraite battue, on
rejoignait a tatons le coin dont on avait pris possession la veille,
il n'etait pas rare de le trouver occupe par un ronfleur inconnu,
deguenille et malpropre. Heureux celui qui pouvait alors decouvrir
une planche ou un banc pour y dormir en equilibre, plutot que
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