s divers, multiples, nous absorbaient entierement. Beaucoup
d'entre nous avaient oublie la scene du depart de Nevers, mais non
pas ceux qui avaient mission de s'en souvenir. Elle devait avoir son
epilogue, logique, fatal et prompt.
L'accuse fut traduit devant une cour martiale, ou siegeaient un chef de
bataillon, deux capitaines, un lieutenant et un sous-officier, et dont
la sentence ne pouvait etre ni revisee ni cassee.
Cela dut tout d'abord ne point paraitre serieux au caporal Tillot, ainsi
se nommait le malheureux accuse. Pour un instant d'oubli, pour une
benigne vivacite, mourir de la mort des assassins, des voleurs et des
laches? Etre tue par des Francais, avant d'avoir affronte les Prussiens
detestes!
Non, ce n'etait pas vraisemblable. Il s'agissait sans doute de quelque
simulacre de jugement et de supplice, a la maniere maconnique, afin
d'eprouver le courage du patient. Mais il ne pouvait etre question
d'enlever au pays un de ses defenseurs devoues.
Telles durent etre les pensees du caporal Tillot. Mais, pour les juges,
qui ne pouvaient decliner leurs fonctions sans etre honteusement mis en
reforme, ils durent envisager leur role avec tristesse et terreur, car,
entre un texte formel et un fait indeniable, il n'y avait pas de place
pour une hesitation. La cour martiale n'hesita pas.
Notre lieutenant en faisait partie, en raison de son anciennete de
grade. Il nous annonca le verdict, sans commentaires. Certes il avait eu
l'occasion de cuirasser son coeur, a Sedan. Plus d'une fois il menaca de
son revolver des hommes qui maugreaient contre le service, et il aurait
eu le courage de tuer un fuyard; mais il veillait sur sa compagnie
paternellement, quoique bien jeune. Il la reconfortait apres les
journees de fatigue. Il etait bon, certainement, autant que brave. Toute
sa bravoure lui fut necessaire pour tenir jusqu'au bout le role qui
lui etait echu dans l'accomplissement de ce drame. L'arret qu'il avait
contribue a rendre, il devait le prononcer le lendemain a la face du
condamne, devant 8000 hommes assembles pour en voir mourir un autre.
Spectacle douloureux. Acte le plus penible de la vie militaire, car,
quelque bien etabli qu'il soit que l'armee forme un tout complet qui
doit se suffire, il n'en reste pas moins terrible d'etre oblige de
passer, sans preparation, a l'etat et de juge et de justicier. Nul ne
peut repondre qu'il ne deviendra pas le bourreau sans pitie de son
camarade coupable d'une peccadil
|