de squelettes; l'herbe
disparaissait sous la litiere des feuilles dessechees, terreuses, qui
s'affaissaient en grincant sous nos pas. Quittant bientot la grande
route qui partage la foret, la colonne prit un etroit chemin, mal fraye,
defonce par les chariots des bucherons. Tout a coup s'ouvrit devant nous
une immense clairiere, ou nous nous engageames en face du 51e de marche
et a cote du 10e bataillon.
Clairons et tambours s'etaient tus; mais derriere nous se faisait
entendre la voiture cellulaire qui, entre deux gendarmes, cahotait dans
les ornieres. Il lui fut impossible d'avancer au milieu des fougeres
qui nous cachaient jusqu'a la ceinture. La portiere s'ouvrit, et le
condamne, invite a descendre, put contempler une derniere fois la voute
du ciel, qui, dans ce large espace, n'etait plus voile par la brume.
Le caporal Tillot etait vetu de la petite veste bleu fonce, avec ses
galons. Un aumonier le soutenait, car il semblait pret a faiblir,
comme au terme d'un trop long voyage. Il recueillait les dernieres
consolations de la bouche du pretre. Son visage, douloureusement
contracte, exprimait pourtant la resignation. Sa marche etait penible,
mais non pas hesitante.
Les herbes et les fougeres avaient ete fauchees sur un carre de quelques
metres. C'etait l'endroit ou le malheureux devait mourir. Il y parvint
enfin. Il se laissa bander les yeux et s'agenouilla devant ses
compagnons d'armes ranges a dix pas de lui.
A cheval aupres du peloton, le colonel Koch etait visible de tous les
points de la clairiere. Il commanda: "Portez vos armes!--Tambours,
ouvrez le ban...!"
A un roulement lugubre comme un glas, succeda un silence plus lugubre
encore. Dans cet espace ou, sous le ciel, 8000 hommes respiraient, on
entendit, semblable a un rale d'agonie, le souffle oppresse du condamne.
A cet instant solennel, la voix sonore, nette et vibrante du lieutenant
Eynard s'eleva du centre de ce cirque et prononca l'inexorable arret que
terminaient ces mots:
_"Au nom de la patrie envahie, le caporal Tillot est condamne a la peine
de mort."_
La derniere parole fut couverte par une detonation que les echos de
la foret repercuterent comme un grondement de tonnerre. Puis, un coup
isole, sec, sinistre, le coup de grace, tandis qu'un blanc nuage de
fumee s'elevait lentement dans l'air en s'y evaporant peu a peu. Le
caporal Tillot avait acheve de souffrir.
M. Eynard nous rejoignit de son pas long et souple. Nous ne savions trop
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